Les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot, spécialistes du Moyen Orient, font paraître un livre coécrit intitulé MBS confidentiel. Une biographie du prince-héritier (et véritable maître) d’une Arabie Saoudite qui s’est profondément modifiée en une décennie sous l’autoritarisme et les volontés réformatrices de son jeune chef d’État. Le livre est documenté par de nombreuses sources – souvent anonymes – qui ont côtoyé le prince héritier dans ses sphères diplomatiques, économiques ou encore culturelles. De quoi nous parle le livre ? Qu’apprenons-nous du prince Mohammed ben Salmane (souvent résumé à MBS) ? Qu’est devenue l’Arabie Saoudite aujourd’hui, comment sera-t-elle à l’avenir ?

Cadre du livre MBS confidentiel
Christian Chesnot et Georges Malbrunot sont tous les deux journalistes français spécialistes du Moyen Orient. J’avais déjà lu et chroniqué un livre de Christian Chesnot, Le Qatar en 100 questions.
Ce compte-rendu n’est pas exhaustif. Toutes les idées appartiennent aux auteurs. L’article présent ne fait que reprendre les traits essentiels de leur livre qui permet de comprendre qui est Mohammed ben Salmane, et quelles sont les évolutions de l’Arabie Saoudite depuis son arrivée au pouvoir en 2015.
Ce livre est une enquête journalistique. Les auteurs s’appuient sur des témoignages : principalement des sources diplomatiques, économiques et culturelles. Beaucoup sont anonymes, par peur des représailles.
Lecture conseillée et source : Christian Chesnot, Georges Malbrunot, MBS confidentiel : enquête sur le nouveau maître du Moyen-Orient, Michel Lafon, 4 avril 2024, 272 p.
Livre accessible à tous, public minimum lycéen.
- Cadre du livre MBS confidentiel
- Un jeune prince héritier
- Quand MBS prend le pouvoir
- Quand MBS change la société
- Les énormes ambitions de Mohammed ben Salmane
- Un prince sur ses gardes face au complot
- L’Arabie Saoudite et ses relations internationales


Un jeune prince héritier
Le portrait de Mohammed ben Salmane tranche avec le visage que l’on pourrait avoir d’une Arabie Saoudite très traditionnelle. Né en 1985, fils du 2e mariage de son père gouverneur de Riyad, Mohammed ben Salmane a plus d’une dizaine de (demi) frères et sœurs. Peu d’informations nous sont livrées de son enfance : on sait qu’il était colérique, capricieux, qu’il adore les jeux-vidéos (Call of Duty) et la malbouffe (Mc’Donalds). C’est un prince qui n’a pas vécu ni étudié en Occident contrairement à beaucoup d’autres même s’il a déjà passé plusieurs mois en vacances à l’étranger durant son adolescence. Quelques anecdotes cocasses nous sont livrées, notamment lors d’un séjour dans la ville française de Cannes. Mohammed ben Salmane, qui n’a alors que 15 ans, trouve l’écran de sa chambre d’hôtel trop petit. Caprice de prince… les hôteliers sont totalement dévoués à ces étrangers qui leur réservent des chambres par centaine et qui paient très bien… Ils proposent à la famille royale de se rendre dans le plus grand magasin électroménager de Cannes et tombent sur un écran plus grand que celui de l’hôtel… Cependant, celui-ci n’est livrable qu’en 4 jours… Pour contrebalancer la colère du prince qui exige avoir son écran immédiatement, les négociations aboutissent à une exception (bien payée) : l’écran est tout de suite aux mains des Saoudiens. Hormis ces anecdotes adolescentes, Christian Chesnot et Georges Malbrunot nous apprennent surtout qu’en tant que jeune adulte, MBS devient très vite le préféré de son père car très présent auprès de lui. MBS prend la place de ses frères auprès de son père, il se forme à la compréhension du fonctionnement du royaume, de ses tribus. Il est formé et diplômé de droit en Arabie Saoudite et se prépare ainsi, contre toute tradition, à régner.
Quand MBS prend le pouvoir
Quand le roi Salmane, père de MBS, prend le pouvoir en 2015, son fils MBS devient ministre de la Défense et vice-prince héritier d’Arabie Saoudite. Très clairement, il accumule tous les pouvoirs et dirige le pays à la place de son père souffrant. Le roi Salmane tranche avec la tradition de succession adelphique. D’habitude, la succession se fait entre frères : le plus puissant des frères hérite (c’est-à-dire celui qui a le plus de soutien parmi l’armée, les élites économiques, religieuses et intellectuelles). Ici ça n’est pas le cas, et plus encore, MBS chasse toute autre prétention concurrente à la sienne. Ainsi, Mohammed ben Nayef, le prétendant à la Couronne, est écarté du pouvoir par MBS. Il n’y a pas que lui. Prétendant une lutte contre la corruption, MBS fait venir en 2017 nombre de princes et princesses dans l’hôtel du Ritz-Carlton et les y enferme pendant des jours, des semaines, des mois jusqu’à obtenir des aveux, ou des paiements de plusieurs millions voire milliards de dollars au prince MBS. Certains sont mis sous pression, d’autres torturés, d’autres emprisonnés ou interdits de quitter le territoire. Ce guet-apens a pour objectif de faire comprendre qui gouverne en Arabie Saoudite, et accessoirement de ramener plus de 100 milliards de dollars dans les caisses de l’Arabie.
Quand MBS change la société
Mohammed ben Salmane est un jeune prince et est partisan d’un islam modéré. Il a énormément ouvert son pays à la culture occidentale. Sous son règne, les femmes sont autorisées à conduire, à ouvrir un compte bancaire, de marcher seule dans la rue contrairement à son rival qu’est l’Iran. Des cinémas sont ouverts depuis 2017, et selon lui, il n’est plus question de se demander si la musique est haram ou non. D’ailleurs, MBS aime mixer de la musique. En outre, il est même question aujourd’hui d’autoriser sans doute la consommation d’alcool – pour le moment, la vente d’alcool est seulement autorisée en un lieu précis pour les diplomates étrangers. Mais ne nous mentons pas, il est assez connu que de nombreux princes d’Arabie Saoudite boivent et voient des prostituées lorsqu’ils sont dans des pays étrangers… D’ailleurs, le boeuf wugyion (une préparation japonaise mélangée à de la bière) est l’un des plats préférés de MBS qu’il fait importer spécialement dans son pays. C’est un prince jeune ouvert au sport et au jeu-vidéo également : il investit beaucoup dans l’e-sport et dans le football (les clubs saoudiens ont acheté Benzema, Neymar et Ronaldo). Pour MBS, laisser les Saoudiens se divertir est capital. On est très loin de l’Arabie Saoudite de son fondateur Ibn Saoud (a dirigé le pays entre 1932 et 1953) qui à son époque a dû convaincre les oulémas que le téléphone n’était pas une invention et un outil du diable ! Pour les convaincre, il a dû demander à un ouléma de réciter le Coran au téléphone à un autre qui l’écoutait. Quand celui qui écoutait affirma que les paroles du Coran qu’il avait entendues n’étaient pas trafiquées, il fut entendu que le téléphone n’était pas un outil du diable ! Avec MBS, on assiste à une tendance nationaliste plutôt qu’un courant panarabe et un État religieux. Si la société saoudienne est composée à 70% de jeunes de moins de 30 ans, son défi reste de la mettre au travail et de la former.
Les énormes ambitions de Mohammed ben Salmane
Faire l’exhaustivité des ambitions de MBS semble mission impossible. Pour ne retenir que les projets économiques les plus importants, nous allons parler de ceux qui s’inscrivent dans son programme « Vision 2030 ». Il s’agit notamment du projet Neom : une bande de territoire au nord de l’Arabie Saoudite qui s’étend entre la mer Rouge et la Jordanie. Ce projet consiste à faire de ce territoire une énorme zone touristique, entre des villes portuaires, une mer Rouge comblée de yachts, et des villes dans les terres qui privilégient la nature et la culture, toutes reliées par des transports décarbonées et toutes climatisées. Ces projets qui coûtent des milliards de dollars sont financés par les exportations de pétrole. L’Arabie Saoudite est très riche, extrêmement riche. Mais le pétrole est une ressource qui s’épuise et Mohammed ben Salmane sait que l’argent gagné par le pétrole n’est que temporaire et qu’il faut investir ailleurs. C’est ainsi que s’explique le rôle de plus en plus maigre de l’Aramco (compagnie pétrolière publique de l’Arabie Saoudite), progressivement supplantée par le PIF (le fonds souverain du pays). Ce fonds souverain aide les entreprises saoudiennes à investir jusqu’à ce qu’elles deviennent autonomes et rentables. Le fonds souverain investit à l’étranger (dans de nombreuses sociétés différentes, jusqu’à acheter des clubs de foot comme New Castle, ou des joueurs de foot). Les 3/4 de ses investissements se font par contre au sein même de l’Arabie Saoudite pour que les entreprises puissent s’étendre dans le pays même. Par exemple, la compagnie Riyad Air et le projet d’un méga-aéroport sont deux idées ambitieuses qui concurrencent Qatar Airways. Cependant, l’Arabie Saoudite a des difficultés à terminer ses chantiers et à respecter les délais, à l’image du métro de la capitale Riyad qui n’est toujours pas terminée. Les investisseurs locaux et étrangers ont en plus peur d’investir à cause du traumatisme laissé par l’événement du Ritz-Carlton qui a eu lieu en 2017.
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Un prince sur ses gardes face au complot
Les réformes rapides et la purge faite au Ritz-Carlton et parmi ses opposants fabriquent de nombreux ennemis au vice-prince héritier de l’Arabie Saoudite. De fait, les journalistes Chesnot et Malbrunot nous apprennent qu’il y a une véritable paranoïa sécuritaire de la part de MBS. Ainsi, lorsqu’il retourne dans son palais, le bâtiment est vidé avant son entrée et vérifié par des démineurs à chaque fois. Il faut dire que cette paranoïa peut se justifier par des événements précédents. En 1969, des militaires ont organisé un complot pour éliminer le roi et mettre en place une République islamique : l’objectif était de bombarder Riyad. Cependant, il a échoué. Ce n’est pas le cas de l’assassinat de 1974. Le roi Faiçal ben Abdelaziz a été assassiné lors d’une réunion dans son palais à Riyad par le prince Faiçal ben Moussaed. Ce dernier souhaitait venger son frère Khaled tué par des agents de sécurité lors d’une manifestation contre l’ouverture d’une chaîne de télévision considérée comme anti-islamique par les ultra-religieux. Les auteurs parlent aussi de l’attaque terroriste qui a eu lieu à La Mecque en 1979 par des opposants au régime des Saoud. L’attentat-suicide de 2009 est aussi mentionné. Le prince Mohamed ben Nayef, vice-ministre de l’intérieur et oncle de MBS, a failli être tué d’un attentat suicide à l’explosif par des djihadistes acquis à la cause d’Al-Qaïda. Par conséquent, MBS décide de réorganiser lui même sa sécurité en limogeant bon nombre de personnes et en reconstruisant les services. Il crée le PSS (la présidence de la sécurité d’État) et contrôle le GID (les renseignements intérieurs). Il surveille sa garde royale, la plus puissante, celle qui le protège le plus mais qui pourrait être dangereuse. Il cultive une image d’homme assuré, autoritaire. Il faut dire que la vitesse de modernisation du pays ne plaît pas à tous, ce d’autant plus que les autres princes, les vieilles générations ou les chiites situés dans les périphéries du pays pourraient se révolter. Pour MBS, il ne s’agit plus de la loi des princes, mais de la loi du pays.
L’Arabie Saoudite et ses relations internationales
Les journalistes français consacrent plusieurs chapitres aux relations internationales saoudiennes, notamment avec les États-Unis, la France, Israël, les pays de sa région (Émirats Arabes Unis, Qatar, Bahreïn, Yémen), son rival l’Iran, ainsi que la Chine et la Russie. L’Arabie Saoudite est amie avec les États-Unis depuis 1945. Le pacte du Quincy correspond à un échange de protection apportée par les États-Unis à l’Arabie Saoudite contre le pétrole. Les deux pays seront proches, l’apogée de leur relation se situe en 1993 lorsque l’Irak de Saddam Hussein envahit le Koweït. Les Américains déploient bases et hommes en Arabie Saoudite comme tremplin dans la région. Cependant les auteurs font remonter plusieurs dates qui marquent une dégradation successive des relations entre Arabie Saoudite et États-Unis. D’abord, les attentats de 2001 contre les États-Unis dans lesquels ont participé 15 saoudiens. Ensuite, l’invasion de l’Irak en 2003 qui a permis l’installation des chiites dans le pays alliés à l’Iran, le plus grand rival de l’Arabie Saoudite. Il y a aussi le soutien des États-Unis aux printemps arabes de 2011 alors que l’Arabie Saoudite craignait une révolte qui fasse tomber son régime. L’Arabie critique une vision internationale des États-Unis trop oscillante, qui ne voit pas sur le long terme. Les relations sous Trump étaient excellentes, sous Biden beaucoup moins. Les attaques des Houthis contre les stations d’Aramco en 2019 et la non-intervention des États-Unis a finalement poussé l’Arabie Saoudite à penser soi-même sa sécurité (ne pas oublier que les Américains se projettent sur l’Indo-Pacifique, se désengagent du Moyen-Orient, et sont autonomes en termes d’énergie engageant ainsi moins de dépendance par rapport à l’Arabie Saoudite). Aujourd’hui, la pétromonarchie souhaite sortir de sa dépendance américaine et cultive sa propre protection. Ceci explique son regard tourné vers d’autres pays, notamment la Chine, la Russie et plus récemment l’Iran avec lequel elle a réouvert un lien diplomatique en 2023 sous l’égide de la Chine.
Les relations de l’Arabie Saoudite ne se sont pas dégradées uniquement avec les États-Unis mais aussi avec la France. Lorsqu’Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir en 2017, celui-ci a émis la possibilité d’échanger avec l’Iran. L’Iran étant le plus grand rival de l’Arabie Saoudite, cette déclaration sonne la colère de MBS. Plus tard, un autre dossier a fâché les deux pays. Au Liban, Saad Hariri est devenu Premier ministre dans ce pays qui connait un marasme politique et économique, un Liban historiquement très ami avec la France. Saad Hariri était le candidat préféré des Français et des Saoudiens. Pourtant, lorsque MBS a enfermé la plupart des princes au Ritz-Carlton en 2017, il y avait aussi enfermé Saad Hariri sous prétexte de corruption et de laisser trop faire le Hezbollah au Liban (le Hezbollah est une branche armée chiite qui soutient l’Iran et qui est plus forte que l’armée régulière libanaise). Après avoir subi des coups et mis sous pression, lors d’une allocution télévisée mise en scène par l’Arabie Saoudite, Saad Hariri annonce sa démission. Les pays étrangers ne sont pas stupides et comprennent que cette démission est forcée. Il a fallu l’intervention d’Emmanuel Macron pour qu’Hariri soit libéré. La guerre en Ukraine n’a pas arrangé les relations… Il a été demandé à l’Arabie Saoudite de diminuer le prix du pétrole pour aider les Européens à se détourner du gaz russe, ce que MBS n’a pas fait. Au contraire, l’Arabie Saoudite a acheté à des prix très bas le carburant russe, et a revendu le sien à prix d’or.
Les auteurs abordent aussi les relations de l’Arabie Saoudite avec Israël. Avant le 7 octobre 2023 (l’attaque du Hamas contre Israël, puis les réponses israéliennes qui ont suivi), la tendance était à la normalisation des relations entre les deux pays : c’est-à-dire paix et coopération. En effet, plus lointainement dans l’histoire, malgré les guerres, l’Égypte et la Jordanie avaient déjà normalisé leurs relations avec Israël. En 2020, les accords d’Abraham ont signé la normalisation des relations entre le Maroc, le Soudan, Bahreïn et les Émirats Arabes Unis avec Israël. L’Arabie Saoudite en était clairement sur la voie, les déclarations en 2023 soulignent même le mot « normalisation ». Cependant, celle-ci est gelée (et non pas arrêtée) depuis la guerre entre le Hamas et Israël. Ce d’autant plus que l’opinion publique saoudienne est largement favorable à la question palestinienne – qui a été mise de côté. Les auteurs estiment que cette question sera un enjeu majeur de la future normalisation des relations avec Israël – mais pour le moment ni Israël ni le Hamas ne veulent d’une solution à deux États.
Enfin, il ne faut pas oublier les relations régionales de l’Arabie Saoudite. Après tout, c’est grâce à son influence régionale que l’Arabie Saoudite peut prétendre être une grande voix dans le concert des nations. MBS veut faire de son pays un hub entre l’Europe et l’Asie : une plaque tournante du commerce, des échanges économiques et financiers. Avec l’Iran, l’Arabie Saoudite est une grande puissance régionale : merci le pétrole, mais aussi la stabilité ! Néanmoins, dans la région, le pays a connu plusieurs revers. D’abord, MBS a lancé avec une coalition de plusieurs pays arabes une guerre au Yémen pour remettre sur le trône l’ancien dirigeant contesté en 2015 (la guerre civile a commencé en 2012). Sauf que les Saoudiens se sont embourbés : la guerre n’a pas été une guerre-éclair, et des millions de civils sont en extrême insécurité. Ensuite, MBS a lancé en 2017 sous l’impulsion des Émirats Arabes Unis, un blocus contre le Qatar, accusé de financer le terrorisme. Néanmoins, ce blocus a été un échec, le Qatar s’est renforcé. Face à cet échec, MBS a tourné le dos aux Émirats Arabes Unis. Enfin, ces derniers n’ont pas les mêmes positions que l’Arabie Saoudite sur les dossiers yéménite et soudanais (où une guerre civile fait rage depuis 2023 entre deux généraux), compliquant les relations.
En somme, le livre MBS confidentiel de Christian Chesnot et Georges Malbrunot est une mine d’informations très accessible sur l’Arabie Saoudite de Mohamed Ben Salmane. Les auteurs reviennent d’ailleurs sur quelques propos qu’ils avaient eu il y a quelques années pour faire lire les dynamiques, les erreurs ou les continuités vis-à-vis du passé. À qui veut apprendre l’Arabie Saoudite de 2024, MBS confidentiel est une très bonne porte d’entrée car il se lit rapidement et ne nécessite pas de connaissances préalables pour comprendre l’essentiel. Un plaisir à lire !





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