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Parlons de Formosana : Histoires de démocratieà Taïwan. Une anthologie vitrine du processus de démocratisation sur l’île. Un recueil coup de pied face à une Chine autoritaire et menaçante. Un recueil dont la beauté réside en la défense d’une démocratie en permanente danger, ancienne dictature. Des histoires qui suscitent l’envie de lutter pour protéger des libertés acquises dans un pays si lointain, alors que nous sommes nous-mêmes habitants d’une démocratie malade. Plus qu’une chronique sur les histoires racontées, parlons de Taïwan et de sa démocratisation.


Formosana : Histoires de démocratie à Taïwan


Auteur : Collectif

Éditeur : L’Asiathèque

Genre : Anthologie

Sortie : 2021

Nationalité : Taïwanaise

Pages : 324 pages

Résumé : À l’heure d’une crise mondialisée où la voix singulière de Taiwan commence à se faire entendre, le recueil de nouvelles Formosana permet aux lecteurs francophones de comprendre les trajectoires historiques et sociales de cette île dont la situation détonne dans le concert des États-nations du monde. La littérature apparaît ainsi comme un média privilégié pour voir ce que l’expérience taïwanaise a à offrir au monde. Quand la prise de parole est souvent réduite à son strict minimum (une phrase, un tweet, un post), la parole littéraire, en donnant à voir la complexité d’une société et du monde, est plus que jamais essentielle.


Le processus de démocratisation à Taïwan

Taïwan est au cœur des enjeux géopolitiques dans ce premier quart du XXIe siècle. Ce pays que seuls quelques autres États reconnait inspire les démocraties occidentales. Pourtant, avant d’être la démocratie qu’elle est aujourd’hui, Taïwan fut d’abord une dictature avec loi martiale. Le processus de démocratisation qui s’est lancé depuis la fin des années 60 est sans doute à son apogée aujourd’hui. Ce processus a ouvert le yuan législatif aux sans partis (1969), puis a permis la création d’autres partis (comme le DPP) (1986), a ouvert l’élection présidentielle au suffrage universel (1996), a mis fin à la domination politique du Kuomintang (ancien parti unique) (2000), jusqu’à avoir la toute première femme présidente de son histoire (2016). Taïwan s’impose en tant que contre-modèle de la Chine, dont Xi Jinping est au pouvoir depuis 2013 d’un pays dont les libertés sont réduites, les censures fortes et la démocratie inexistante. Taïwan exergue sa démocratie, recherche le soutien des puissances occidentales car la Chine considère idéologiquement que Taïwan a toujours fait partie d’elle. [Lire : Taïwan appartient-elle à la Chine ?]. Alors que Hong-Kong et Macao ont intégré le giron de la Chine sans qu’elle en respecte les promesses de liberté, Taïwan se sent encore plus menacée.


Frise chronologique du pouvoir politique à Taïwan.
En bleu : Les événements politiques importants et les dirigeants.
En rouge : Les événements politiques importants en Chine.
En vert : Les événements témoignant du processus de démocratisation de Taïwan.

Un recueil témoin d’une démocratie en danger

Formosana : Histoires de démocratie à Taïwan est une anthologie (un recueil de nouvelles) qui a pour objectif de nous faire comprendre cette démocratisation taïwanaise. Ce recueil nous immerge à travers des histoires fictives, lourdement inspirées par la vie des auteurs, leur éducation ou leur militantisme. Au-delà du plaisir que peut en tirer le lecteur, soulignons l’aspect historique de l’ouvrage. Il s’agit en effet là comme d’un recueil précieux, qui peut-être sait-on jamais si la Chine arrive à détruire la démocratie taïwanaise, sont de précieux souvenirs d’un modèle de démocratie. Avant que ce ne soient des souvenirs, peut-on décrire ce recueil comme un appel à l’aide ? D’heureux témoignages ? Quoi qu’il en soit, Formosana (Formos étant l’ancien nom de Taïwan) est un livre plein de poésie démocratique.

Formosana est un recueil de nouvelles qui m’a parfois transporté et marqué, parfois ennuyé. Alors que j’étudie Taïwan ces derniers temps, j’avais envie de me plonger dans sa littérature. L’ouvrage par sa promesse de découvrir l’île à travers de nombreux auteurs qui placent leur histoire dans le processus de démocratisation m’a séduite. Il faut bien imaginer que le recueil est construit ainsi : chronologiquement, les fictions débutent avec des personnages encore fort empreints de la dictature… puis plus on avance, plus les histoires relatent la jeunesse taïwanaise d’aujourd’hui. On y lit bien sûr un changement de paysage, de cadre.

Une continuité chronologique : vers la démocratie

Dans les premières histoires, les personnages sont marqués par l’ordre imposé, par le cadre militaire, par les libertés réduites. On retrouve ainsi la drôle histoire d’un homme dont la seule mission est de veiller à ce chaque élève de son établissement célèbre la statue de Tchang-kaï shek. Ce fidèle du dictateur la considère comme la mission de sa vie, tandis que les jeunes gamins ont toujours cru qu’il fallait saluer ce monsieur plutôt que la statue. À quoi bon saluer une statue ? L’histoire raconte avec humour ce décalage générationnel entre ceux qui ont vécu la dictature, l’ordre moral, le culte de la personnalité et une jeunesse plus libre et moins aux ordres. Une autre histoire est marquante, comme celle de deux frères déserteurs, refusant la conscription. Une autre, plus intrigante et même déroutante, relate l’histoire d’un homosexuel qui doit disséquer son cousin, mort lors d’une rébellion contre le régime, et qui était son amant. La dissection doit se faire sans qu’il ne montre aucun sentiment, au risque de lui-même se mettre en danger devant ses camarades et professeurs qui l’observent.

Les histoires finales sont différentes des premières. Les sujets sont les jeunes taïwanais qui ont pour cœur à défendre la démocratie, ou qui n’ont connu que ce régime-là. On suit ainsi l’histoire d’un père proche du Kuomintang, donc proche de la Chine continentale. Il est en décalage politique avec son fils qui fait une grève de la fin lors du Mouvement des Tournesols en 2014 en occupant le yuan législatif. Toute l’histoire s’attache à nous expliquer cette rupture entre le père et le fils, ce décalage générationnel, entre un vieux père âgé, militant et expérimenté et un jeune plein d’espoir et de vivacité. Encore une autre sinon, beaucoup plus fictive mais intelligente. L’histoire raconte que le dirigeant de Taïwan déclare lui-même la guerre à la Chine. Plutôt que de se préoccuper de la guerre imminente, nous suivons un trio de personnages occupé à voler un drôle d’animal dans un zoo et de squatter – comme tant d’autres – les cafés. Délirant presque, mais pas totalement. L’histoire fait part d’un autre sentiment à Taïwan. Celui sans doute de l’inévitable. La jeunesse sait qu’elle ne pourra rien faire, donc elle se laisse faire, se contente de profiter du moment présent. Une histoire à contre-courant des autres où les militants se battaient pour la défense de la démocratie. Mais une histoire qui rend Formosana intéressant en multipliant les différents portraits.

Bilan sur Formosana

Sans être exhaustif, d’autres histoires furent marquantes. Certaines racontent la vie et les discriminations subies par les autochtones, ou encore le travail industriel de jeunes femmes dans les usines qui nous font penser à nos histoires occidentales des XIXe-XXe siècles. Certaines ont des thèmes attirants mais avec trop de longueurs, la toute dernière nouvelle raconte l’aventure poétique d’un amoureux des papillons et l’essor de l’écotourisme à Taïwan… En bref, certaines nouvelles furent des voyages intéressants, d’autres m’ont tiré un peu vers l’ennui, une lecture où je parcourais les mots sans vraiment les lire. Le livre reste attachant, tant il est ancré dans une certaine actualité, tant il nous offre à nous citoyens de démocraties malades un espoir et une attache à une démocratie si lointaine mais en danger.

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