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Cette affiche de propagande chinoise datée des années 1950 a pour titre « Libérez Taïwan et unification complète ». On y voit une lourde armée depuis la Chine s’avançant vers Taïwan, avec au centre un porte-étendard du drapeau communiste : un homme de l’armée populaire de libération. L’armée met en déroute deux personnages présents sur l’île de Taïwan : Tchang Kaï-shek, dirigeant du Kuomintang, réfugié sur l’île depuis 1949, et son allié américain. En réalité, la Chine n’a jamais envahi l’île de Taïwan et cette affiche n’est qu’une propagande politique et militaire. Cependant, en 2023, le message de la Chine à l’égard de Taïwan n’a que peu changé. Si l’idée de la « libération » a quasiment disparu, la Chine de Xi Jinping appuie toujours l’idée de « réunification » dans l’espoir de voir Taïwan dans le giron de la Chine. Pour la Chine, Taïwan a toujours fait partie de son pays. Mais est-ce vraiment le cas ?


La Chine veut Taïwan. Actuellement, la Chine et Taïwan sont deux États distincts. Selon la Chine et son actuel président Xi Jinping, Taïwan a toujours fait partie de la République populaire de Chine depuis sa rétrocession en 1945 par les Japonais après la Seconde Guerre Mondiale. Quant au gouvernement de Taïwan, il n’y a pas de « réunification » possible, puisque Taïwan n’a pas été cédé à la République populaire de Chine du Parti Communiste Chinois de Mao, mais au parti du Kuomintang qui dirigeait la République de Chine. Revenons un peu sur la chronologie des événements.


Au fur et à mesure de l’Histoire, la Chine s’est étendue. De la dynastie Qin à la République populaire de Chine en passant par les Tang et les Qing. Source : https://www.lhistoire.fr/carte/l’empire-chinois-de-221-av-j-c-à-1911


Taïwan sous l’empire Mandchou des Qing jusqu’en 1895

En 1911, l’empire Mandchou qui dirige la Chine s’effondre sous les révoltes. L’année suivante, la République de Chine est proclamée par Sun Yat-sen. Dès lors, un parti unique dirige le pays : le Parti nationaliste populaire ou Kuomintang. Ce parti exerce un pouvoir absolu. D’inspiration léniniste, il forme l’idée des « Trois principales du peuple » qui repose sur trois aspects : une nation, un pouvoir fort du gouvernement, le bien-être du peuple. Ce principe doit favoriser le sentiment national. Sun Yat-sen estimant que la Chine est encore trop immature pour une démocratie véritable pense que le pays doit passer par la dictature comme « tutelle politique » d’abord.

Qu’en est-il de l’île de Taïwan ? De 1895 à 1945, l’île a appartenu au Japon. Elle a été donnée par l’empire Mandchou des Qing après sa défaite lors de la première guerre sino-japonaise. De fait, le régime politique de la République de Chine de Sun Yat-sen n’a jamais possédé Taïwan puisqu’il n’est né qu’en 1911. Mais sous l’empire Mandchou des Qing était-ce le cas ? Taïwan a-t-elle appartenu à la dynastie Qing ? La population de Taïwan est d’abord austronésienne. Puis, trois types d’immigration se sont succédé et superposé. D’abord, depuis le XIIIe siècle, une immigration chinoise depuis le Fujian, liée aux liens commerciaux. Au XVIIe siècle, quelques Hollandais qui s’établissent sur l’île par le biais de la Compagnie des Indes accentuent l’immigration chinoise du Fujian. Enfin, pour des raisons commerciales également, des Japonais et plus encore lorsque l’île était sous colonisation japonaise entre 1895 et 1945. Si au XVIIe siècle, l’île a été conquise par l’empire Manchou des Qing, elle est restée un territoire marginal très peu exploité. C’est surtout sous la colonisation japonaise que l’île se développe et se modernise et qu’elle fut administrée. On y note une croissance économique, le développement d’infrastructures comme le chemin de fer, ou la construction de nombreuses écoles pour y renforcer l’éducation où le japonais devient langue obligatoire, et le shintoïsme y est introduit.


 Une bataille de la guerre sino-japonaise, estampe, Yōshū Chikanobu, 1894.


Taïwan appartient au Kuomintang, et non au Parti communiste chinois

Après la Seconde Guerre Mondiale en 1945, lorsque Taïwan est rendue par les Japonais à la République de Chine dirigée par le parti du Kuomintang, les Taïwanais sont vus comme des traîtres qui se sont alliés aux Japonais. En effet, les habitants de Taïwan durant la colonisation ont appris le japonais, tandis que les Chinois qui viennent de récupérer l’île parlent mandarin. Taïwan est largement plus développée et modernisée que la Chine qui accuse, elle, un retard économique et technologique. Ce sont donc deux sociétés et deux territoires distincts. Les catégories d’habitants sont mêmes distinguées entre les « originaires de la province », c’est-à-dire les Chinois venus à Taïwan durant la colonisation japonaise (1895-1945), et les « continentaux chinois », ceux arrivés sur l’île depuis 1945. Des tensions et des confrontations se font ressentir jusqu’à un événement retentissant : l’incident 228 en février 1947. C’est un soulèvement populaire est dirigé contre le gouvernement de la République de Chine dirigé par le dictateur Chiang Kaï-shek au pouvoir depuis 1925. Chiang Kaï-shek impose sa force pour reprendre en main le contrôle de Taïwan tout juste récupéré. La répression est violente, elle est surnommée « la Terreur blanche ».

Sur le continent chinois, l’idéologie communiste a fleuri dans les rues dès les années 1930 et déstabilise la République de Chine du Kuomintang. A la tête du Parti Communiste Chinois : Mao Zedong. Cette République de Chine ne tient pas le poids après la Seconde Guerre Mondiale. En 1949, les dirigeants du Kuomintang et de la République de Chine doivent s’exiler : ils s’enfuient sur l’île de Taïwan dans laquelle ils ont établi une répression violente, la terreur blanche. Les communistes sont victorieux en Chine continentale, la République de Chine tombe. En 1949 est proclamée la République populaire de Chine, dirigée par un parti unique, le Parti Communiste Chinois (PCC) dont à la tête se trouve Mao Zedong. La République de Chine du Kuomintang n’a pas totalement disparu : elle survit à Taïwan, jusqu’à aujourd’hui encore. Mao Zedong n’avait pas les moyens de reprendre Taïwan, quant à l’île elle devait être à l’origine un bastion militaire, territoire d’où partirait une reconquête de la Chine continentale… qui ne s’est jamais faite.

De fait, jusqu’aux débuts de la colonisation japonaise en 1895, l’île de Taïwan n’est restée qu’une terre très marginale aux yeux de l’État chinois. Les Taïwanais d’aujourd’hui font la distinction entre une colonisation japonaise qui a su développer et moderniser leur pays, et une colonisation chinoise de Chiang Kaï-shek où régna la Terreur blanche. Si la population de Taïwan est majoritairement d’origine chinoise, elle voit le Japon comme un pays ami, et la Chine un pays dont il faut se méfier. Lorsque le Japon cède Taïwan à la République de Chine du Kuomintang en 1945, elle ne l’a en réalité pas céder pas aux communistes de Mao Zedong qui ne prendront le pouvoir qu’en 1949. Voilà l’explication du discours de Taïwan, mais pourquoi la Chine prétend alors le contraire ?


Chronologie de l’occupation taïwanaise. D’abord, les Austronésiens ont peuplé l’île. Puis les Hollandais sont arrivés par le biais de la compagnie des Indes. En 1895, les Qing cède Taïwan aux Japonais. Les Japonais en 1945 rendent l’île à la République de Chine. En 1948-1949, les dirigeants du Kuomintang doivent s’exiler vers Taïwan à cause de l’avancée des communistes.
Source : https://www.science-et-vie.com/article-magazine/a-qui-appartient-taiwan


Chronologie de l’appartenance de Taïwan


Chronologie fine des événements politiques en lien avec Taïwan

En marron : Les événements en rapport avec la dynastie Qing (jusqu’en 1911).
En bleu : Les événements en rapport avec la République de Chine.
En rouge : Les événements en rapport avec la République populaire de Chine (depuis 1949).
En vert : La démocratisation de la République de Chine (ou Taïwan) par opposition au parti unique chinois.

La rhétorique d’une Chine unique

Pour la République populaire de Chine de Mao, et encore plus celle de Xi Jinping aujourd’hui, il n’y a qu’une seule Chine aujourd’hui. C’est la rhétorique chinoise qui s’est traduit historiquement par la reconnaissance de la République populaire de Chine à l’ONU en 1971, et le retrait de Taïwan à ce même conseil. Aujourd’hui, Taïwan n’est pas reconnu officiellement comme un pays et la liste des ambassades présentes sur son sol est quantitativement et qualitativement ridicule. Tout simplement parce que la Chine exige, condition sine qua non, que tout pays souhaitant avoir des relations avec elle, n’ait aucune relation diplomatique avec Taïwan. Comme la Chine est un immense pays au vaste marché potentiel (plus d’un milliard d’habitants), les pays étrangers préfèrent nouer des liens avec la Chine. S’il n’existe qu’une seule Chine, alors pour Xi Jinping, Taïwan doit faire partie de sa souveraineté. Plus largement encore, la récupération de l’île (militairement parlant, ou de manière plus pacifique) permettrait de récupérer un large bassin maritime et une ouverture sur le Pacifique. Cette récupération permettrait aussi d’éloigner les États-Unis de sa zone d’influence.


Sur cette carte, nous pouvons y lire la zone d’influence américaine qui ceinture la Chine. En Asie Pacifique, les États-Unis sont alliés au Japon, à la Corée du Sud, aux Philippines, à l’Australie et à Taïwan. La Chine a des prétentions sur l’île de Taïwan, sur les îles Senkaku dans la mer de Chine orientale et sur de nombreuses îles et ressources en île de Chine méridionale. Pour la Chine, reprendre Taïwan revient à éteindre sa zone d’influence.

Représentation artistique d’une Chine unique (source : Dan Bejar, Foreign Affairs Magazine)


Evolution de la reconnaissance de la RPC et de la ROC entre 1949 et 2018 (Wikipedia)

Taïwan de plus en plus isolée du monde ?

Les points de vue entre la Chine et Taïwan sont ainsi divergents. La Chine grâce à son énorme marché et plus encore par son développement économique extraordinaire depuis l’ouverture amorcée sous Deng Xiaoping à la fin des années 1970 s’est hissée au rang de grande puissance économique mondiale. Cette puissance lui permet de faire pression comme on l’a dit sur les relations internationales : seule la Chine doit être reconnue si un pays espère avoir des relations diplomatiques et économiques directes avec elle. Ainsi, depuis 1945, nous pouvons observer que les pays reconnaissant la République populaire de Chine (en rouge) sont de plus en plus nombreux. En parallèle, ceux reconnaissant Taïwan sont de moins en moins nombreux (en bleu). Si Taïwan est de plus en plus isolée, les opinions publiques des démocraties occidentales sont beaucoup plus enclines à défendre l’île qui s’est démocratisée plutôt que le géant autocrate, encore plus dans les contextes actuels de la répression d’Hong Kong et la guerre en Ukraine.


Sources


A voir : « Nous sommes Taïwan »

Un documentaire narré par Pierre Haski nommé « Nous sommes Taïwan » revient sur l’histoire de l’île et sa politique.

Une réponse à « Histoire : Taïwan appartient-elle à la Chine ? »

  1. […] car la Chine considère idéologiquement que Taïwan a toujours fait partie d’elle. [Lire : Taïwan appartient-elle à la Chine ?]. Alors que Hong-Kong et Macao ont intégré le giron de la Chine sans qu’elle en respecte les […]

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