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Sous la direction scientifique des préhistoriens Marylène Patou-Mathis et Pascal Depaepe, l’ouvrage collectif Néandertal publié en 2018 réunit une vingtaine d’auteurs pour offrir une superbe synthèse mise à jour sur l’Homme de Néandertal. Dans ce livre richement illustré, des spécialistes racontent Néandertal dans une histoire qui se veut totale.


Cadre du livre Néandertal

Marylène Patou-Mathis et Pascal Depaepe sont préhistoriens. Il regroupe dans leur ouvrage sous leur direction une vingtaine de scientifiques sérieux qui permettent d’étudier Néandertal sous tous les angles.

Ce compte-rendu n’est pas exhaustif. Toutes les idées appartiennent à l’auteur, l’article présent n’en fait que reprendre et résumé les principales parties.


Lecture conseillée et source : PATOU-MATHIS Marylène, DEPAEPE Pascal (dirs.), Néandertal, Gallimard-MNHN, 2018, 190 p.
Livre accessible pour un public niveau lycée.



L’ouvrage commence avec une partie sur l’environnement, nous rappelant que l’histoire de Néandertal est longue et incluse dans de climats et des biodiversités qui changent. Une seconde partie raconte Néandertal sur « le temps d’une journée ». Les scientifiques y parlent de l’exploitation des ressources, de leur nomadisme, de leur mobilité quotidienne. Par la suite, « le temps d’une vie » fait étalage de sa morphologie, des rapports solidaires et conflictuels entre les individus, de leur possibilité de parler, d’un potentiel cannibalisme, des sépultures, des parures, peut-être des premières croyances ? Une quatrième partie raconte « le temps d’une espèce » : qui est Néandertal, qui est son ancêtre, comment a-t-il cohabité avec Sapiens, y-a-t-il eu des fusions charnelles, et comment Néandertal a disparu ? Enfin, un chapitre sur « le temps des représentations » revient sur le regard des artistes à propos de Néandertal du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, vu comme une brute exagérément carnivore et aux besoins primaires poussés.

La découverte de Néandertal

Néandertal est une espèce du genre Homo qui a cohabité en même temps que Sapiens en Eurasie. L’espèce semble émerger vers 350 000 ans, descendante d’Homo heidelbergensis, pour s’éteindre vers 40 000 ans. Les hypothèses dressées pour établir la lignée évolutive et la disparition de Néandertal apparaissent dans le livre Néandertal. C’est le géologue William King (1809-1886) qui a découvert que les ossements retrouvés en 1856 dans la vallée de Néander en Allemagne était une autre espèce que l’Homo sapiens. La première fois que nous avons identifié une nouvelle espèce du genre humain – même si des ossements de Néandertal ont été récupérés bien auparavant en 1848 à Gibraltar et en 1829 à Belgique. L’arrivée en France des travaux de Lamarck et de Charles Darwin avait fait prendre conscience que les populations humaines ne sont pas biologiquement et culturellement immuables et fixes dans le temps. L’anthropologie et l’archéologie deviennent évolutionnistes. Ainsi, l’objectif des fouilles devient aussi celui d’apporter des ossements fossiles qui permettront de « remonter le fil anatomique et typologique du temps ». Ses caractéristiques physiques sont différentes : le volume cérébral est presque identique au nôtre. Son crâne est plus étiré vers l’arrière, le thorax est plus développé, le système respiratoire plus adapté au froid. Il devait consommer 6000 calories par jour. Les femmes mesuraient 1m60 et pesaient 50 kg, les hommes mesuraient 1m70 et pesaient 75 kg, en moyenne.



Comment vivait Néandertal ?

Au-delà de l’historiographie, l’ouvrage s’attelle à nous apprendre dans quel cadre vivait Néandertal. Rappelons qu’il était chasseur-cueilleur et nomade dans un monde où les phases glaciaires (qui durent 100 000 ans) et les phases interglaciaires (qui durent 10 000) s’alternaient, offrant un paysage de steppe digne de la Sibérie pour les premières, et un paysage de forêt tempérée pour les secondes. Néandertal était un chasseur qui ne mangeait pas que de la viande, il avait un régime très carné mais un régime omnivore. Il savait cuire la viande, manger des légumes, pêcher et se nourrir de fruits de mer. Il faisait aussi de la chasse opportuniste, était charognard. Néandertal était un chasseur spécialisé. Outre les campements, il avait des haltes de chasse ou des lieux de boucherie dans lesquels il découpait la viande, broyait les ossements, tailler des outils. Les archéologues ont retrouvé des trous alignés dans les campements, montrant que certains étaient entourés de palissades, habitant dans des huttes ou des cabanes en bois, voire des constructions utilisant des ossements. Comme ses prédécesseurs, il savait tailler le bois et la pierre. La culture matérielle de Néandertal se nomme le Moustérien (entre 250 000 à 30 000) avec des techniques de plus en plus complexes d’outillage. La profonde innovation de Néandertal est qu’il s’intéresse davantage aux éclats plutôt qu’au nucléus lui-même. Il savait donc utiliser le bois, la pierre, les os pour son mode de vie. Les campements de Néandertal étaient variés : bords de rivières, de lacs, en abri rocheux. Il a même su s’approprier le monde souterrain : il y a 176 000 ans, Néandertal a parcouru 330 m dans la grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne) dans la totale obscurité et y a réalisé pour d’obscurs motifs d’étonnantes constructions composées de plus de 400 fragments de stalagmites.

Néandertal savait être solidaire, parler, enterrer ses morts

On sait que Néandertal vivant en petit groupe, en famille élargie, et dont les membres étaient très solidaires. Quoique… des individus anciens pouvaient être abandonnés lorsqu’ils étaient trop épuisés pour suivre le groupe à cause du nomadisme. Au demeurant, à Shanidar 1 dans le Kurdistan irakien, un individu de 40 à 50 ans a survécu alors qu’il était blessé au visage, au front, au pied, un bras droit amputé, il avait une cécité partielle à l’œil droit. S’il a pu survivre plusieurs décennies, c’est grâce au soutien de son entourage. Néandertal pouvait communiquer avec ses congénères grâce à son langage articulé : il savait contrôler sa langue, sa mandibule, ses lèvres qui permettent de modifier la forme du conduit vocal et d’exprimer les sons voulus. Surtout, on sait que Néandertal enterrait ses morts et c’est bien la première espèce du genre humain à le faire. La plus ancienne tombe de Néandertal est vieille de 80 000 ans, celle d’Amud en Israël. Il n’y a pas de constance dans les usages funéraires, et tous les individus n’étaient pas enterrés. Les inhumations avaient lieu sous abri, à l’entrée des grottes, dans des fosses naturelles. Des fœtus étaient enterrés, des vieillards aussi. Pas de sélection selon le sexe ou le statut social. Homo Sapiens sera aussi une espèce qui enterre ses morts, et cela avant Néandertal puisque les premières inhumations de Sapiens ont eu lieu  entre 120 000 et 90 000 ans au Proche-Orient à Qazfeh. Les deux espèces mettaient parfois des offrandes : dans la grotte de Shanidar en Irak, des fleurs bleues accompagnaient le mort.



Quand Sapiens a vécu avec Néandertal

Néandertal a cohabité avec Sapiens, d’abord au Proche-Orient il y a 100 000 ans. Dans cette région, Sapiens et Néandertal ont échangé leur culture matérielle : Néandertal s’est inspiré de Sapiens vraisemblablement pour savoir faire des parures. Si la culture matérielle de Néandertal est le Moustérien, celle de Sapiens est l’Aurignacien. Néandertal avait une autre culture matérielle, le Châtelperronien (38 000 à 30 000) et on suppose qu’elle est inspirée de Sapiens. Outre ce partage culturel, il y a eu aussi transmission de gènes entre 60 000 et 50 000 ans. En 2010, des études ADN ont montré que les populations européennes et asiatiques possédaient un petit pourcentage de gènes néandertaliens – au contraire des Africains. Cela s’explique par le fait que Néandertal soit remonté vers le nord, s’est peu développé en Afrique et que les derniers Sapiens qui se sont étalés en Afrique n’ont jamais rencontré Néandertal au Proche-Orient ou en Eurasie. Cet échange génétique est possible car les différences génétiques sont trop faibles, les espèces étaient interfécondes. Ce phénomène n’est pas unique, on sait que Sapiens a aussi échangé des gènes avec les Dénisoviens en Asie, et peut-être Homo erectus en Afrique. Néandertal s’est éclipsé à cause de Sapiens, de plus en plus repoussé vers l’ouest. En Europe, Sapiens est arrivé il y a 40 000 ans en passant par les Balkans. Plus l’espèce de Néandertal fut repoussée et plus elle était isolée, plus un phénomène de dérive génétique a eu lieu. Néandertal s’est de plus en plus différencié de Sapiens, au point de faire pour les derniers individus en Europe de l’ouest une espèce bien plus différente que les Néandertal qui ont fréquenté Sapiens dans le Proche-Orient. Il est vrai qu’à l’ouest, le corps est plus spécialisé que les individus à l’est. Plusieurs théories concourent à la disparition de Néandertal. La plus probable serait celle d’une « crise démographique liée à une réduction du territoire ». Lors d’un épisode glaciaire qui a commencé il y a 32 000 ans, les terres habitables de Sapiens et Néandertal se sont réduites et les deux espèces sont entrées en concurrence. Sapiens aurait survécu parce que plus nombreux et davantage porteurs d’innovations techniques.

Néandertal est-il artiste ?

D’autres débats sont éclairés par l’ouvrage Néandertal. À la question du Néandertal artiste, la réponse reste négative pour le moment. Les préhistoriens parlent davantage de « préoccupations esthétiques » plutôt que véritable art. Néandertal était-il cannibale ? Les archéologues suggèrent que oui, des corps de Néandertal présentent des traces de boucherie, de découpe, de fracturation intentionnelle sur les sites d’El Sidron en Espagne ou de la Baume Moulaguercy en Ardèche. La question est pourquoi ? Impossible de savoir, des théories fusent entre cannibalisme de survie, funéraire ou conflictuel. Est-ce un cannibalisme alimentaire ou rituel ? Est-ce un exocannibalisme : consommation d’un cadavre d’un groupe étranger, ou endocannibalisme au sein d’un même groupe ?

Néandertal roux et blanc ?

D’autres informations sont intéressantes. On apprend que Néandertal aurait été roux et blanc. Des études ADN en 2008 ont montré que Néandertal portait une mutation d’un gène codant une protéine responsable de la production de mélanine, substance qui donne la couleur à la peau. Ce marqueur aurait pu s’éteindre, et la peau devenir blanche. Pas de preuve indiscutable, mais davantage d’informations nous sont connues pour Homo sapiens (voir article).


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