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C’est en retranscrivant l’entretien entre Philippe Prudent et Claude Gauvard pour la revue Historiens&Géographe de l’APHG que j’ai appris l’existence du livre de l’historienne Passionnément Moyen Âge : plaidoyer pour le petit peuple. L’entretien, sans vous le cacher, m’a donné envie de le lire, chose faite, voici un compte-rendu non exhaustif de ma lecture.


Cadre du livre Passionnément Moyen Âge

Claude Gauvard est une historienne, spécialiste du bas Moyen Âge et de l’histoire politique, sociale et judiciaire.

Longtemps elle a travaillé dans la vulgarisation de l’Histoire pour des magazines. Son livre Passionnément Moyen Âge se veut une histoire populaire qui prend ses sources principalement dans les archives judiciaires. Parler, décrire ce « petit peuple » ou comprendre comment il fut décris et pour quelles raisons. Ce livre est en collaboration avec L’Histoire, il reprend principalement des articles écrits par l’historienne dans ce magazine.

Ce compte-rendu n’est pas exhaustif. Toutes les idées appartiennent à l’auteur, l’article présent n’en fait que reprendre et résumé les principales parties.

Lecture conseillée et source : Claude Gauvard, Passionnément Moyen Âge : plaidoyer pour le petit peuple, Tallandier, 2023, 320 p.
Livre accessible pour un public d’étudiants.


Le Moyen Âge et les idées qu’on s’en fait

Passionnément Moyen Âge : plaidoyer pour le petit peuple se concentre principalement, vous l’aurez compris, sur l’histoire populaire à l’époque médiévale. Contrairement aux élites cléricales et aristocratiques, voire bourgeoises, il faut prendre en compte la difficulté de ces travaux ne serait-ce que par les sources disponibles. En quantité d’abord, mais aussi sur leur qualité. Le peuple est raconté dans le texte par majoritairement ceux qui n’en font pas partie. Ceux et celles qui savent écrire sont ceux qui ont pu apprendre, principalement les élites susdites. Claude Gauvard s’empare de ces sources et y ajoutent surtout des archives judicaires, sur lesquelles elle est spécialiste. Enfin, chronologiquement : la fin du Moyen Âge connait plus de sources. Spécialiste de cette période, c’est bien celle-ci qui est prioritairement abordée. Ainsi, son livre très accessible et qui ne se veut absolument pas être un manuel ou une thèse mais davantage un ouvrage de vulgarisation, est empreint de son travail de chercheuse.

Claude Gauvard dans son introduction de Passionnément Moyen Âge revient sur la fascination exercée par le Moyen Âge encore aujourd’hui. Elle délivre l’historiographie de la période, les ruptures et les continuités chronologiques et leurs débats et note la complexité d’une histoire sur ce sujet dans cette période.

La première fausse que Claude Gauvard aborde est celle du « droit de cuissage ». Ce serait un droit qu’aurait exercé le seigneur à pratiquer le coït sur ses serfs, vierges de préférence. Ce mythe s’est fabriqué à trois moments. Durant le Moyen Âge lui-même où les paysans prennent conscience de leur condition et de leur classe et critiquent leurs seigneurs (et donc leurs abus). Au XIXe siècle lorsque les libéraux et républicains critiquent la monarchie (absolue) et le féodalisme et ses abus. Et enfin en France à la fin des années 1990 dans un contexte de lutte contre le harcèlement sexuel, cette fausse idée revient sur le devant de la scène lorsque les patrons sont vivement critiqués. Ce mythe a une origine avant tout idéologique, il s’opère dans le cadre d’un rapport de force entre peuple et dirigeant. En réalité, le droit de cuissage tel qu’il est imaginé n’a pas existé. Cuissage vient du mot « cullage » qui vient de cueillir (et non de « cul ») et ce mot a deux sens. C’est d’abord une taxe que deux jeunes époux doit à la communauté des célibataires du village dans lequel ils se marient. Et une autre taxe qu’un homme doit au seigneur lorsqu’il épouse une serf, et la libère de sa condition (donc perte de ressource humaine pour le seigneur).

Le deuxième débat énoncé par Claude Gauvard est l’existence ou non d’un amour ou de sentiments au Moyen Âge. Pour le savoir, Claude Gauvard définit ces mots. L’amour ou l’amitié peuvent être des sentiments (que nous connaissons aujourd’hui) mais surtout, inhabituel aujourd’hui, des codes sociaux. Au Moyen Âge, les populations parlent d’amour naturel ou d’amitié naturelle. Ils se définissent par des droits et des devoirs entre membres d’une même famille par exemple. L’amour naturel est le devoir habituel qu’un membre de sa famille a envers un autre. L’amitié naturelle peut être éphémère : partager le pain et le vin avec le passager. Ce sont parfois des codes diplomatiques : deux princes qui se « baisent la bouche » obéissent à un rite de réconciliation diplomatique : ils font la paix. Cette amour peut être une dévotion, pour Dieu par exemple. Les sources écrites, les images, les gestes et les actions sont autant de sources qui en parlent. Elles concernent principalement les nobles, et masculins ; mais attention à ne pas oublier que le peuple en est sujet et témoin aussi.

La troisième fausse idée abordée par Claude Gauvard est l’inexistence de l’esclavage au Moyen Âge. On est ici sans doute dans l’un de mes chapitres favoris. On a souvent imaginé que l’esclavage n’existait pas au Moyen Âge. Il a existé durant l’Antiquité, puis à l’époque moderne sous les traites négrières : qu’il aurait brutalement disparu durant le Moyen Âge, remplacé par le servage. Certes, les sources sont peu nombreuses et les terminologies ambiguës (sclavus en latin pour esclave, servus pour serf, esclave, serviteur), mais cette difficulté à penser l’esclavage au Moyen Âge vient du fait que les élites qui écrivaient ne souhaitaient pas en parler et que les historiens qui ont suivi se sont focalisés avant tout sur le servage, oubliant l’esclavage. En réalité, l’esclavage a continué de l’Antiquité au moins jusqu’à la fin des guerres de Charlemagne. Les esclaves étaient capturés à l’étranger. Une pause semble avoir eu lieu. L’esclavage reprit alors aux XIIe-XIIIe siècles lorsque le besoin de main d’œuvre se fait ressentir. Cette reprise a eu lieu surtout en Scandinavie, Espagne, à Byzance et dans les cités italiennes, là où il y a beaucoup d’échanges avec les pays d’Islam, des civilisations qui utilisent l’esclavage. L’esclave est beaucoup moins bien traité et considéré que le serf. Le serf peut se marier, payer pour s’affranchir, fait partie de la paroisse alors que l’esclave ne possède rien, obéit, peut être casé (avoir un logis dans la seigneurie). On se rend compte que les esclaves ne sont à l’origine pas chrétiens, qu’ils viennent de pays étrangers. Bien que les sociétés se christianisent, les populations croyantes ne protestent pas contre la condition d’esclave. En Provence, au XVe siècle, des cas sont confirmés où des Noirs pourtant libres sont considérés comme esclaves (préjugé), et des listes d’échanges commerciaux en Italie triaient les esclaves par couleur de peau (blanc, noir, métisse). Claude Gauvard pose la question si ce ne sont là des prémices de la traité négrière durant les XIVe-XVe siècles.

Les paysans n’auraient pas d’honneur. C’est la quatrième idée abordée par l’historienne Claude Gauvard dans Passionnément Moyen Âge. Sur ce thème, l’historienne y reviendra régulièrement dans son livre puisqu’elle en est la spécialiste. Très simplement, dans les écrits aristocratiques, les actes des nobles sont empreints d’honneur. L’honneur ne concernerait d’ailleurs que le noble. Le paysan, lui, est décrit comme un vilain (un laid), avec beaucoup de descriptions péjoratives. Le monde paysan connait pourtant lui aussi de l’honneur affirme Claude Gauvard ! Les lettres de rémission royale (des grâces royales envoyées par le roi après une requête d’un habitant condamné) concernent beaucoup d’homicides liés au monde paysan pour des raisons d’honneur. Ces raisons peuvent être l’insulte à un membre d’une famille, et l’homicide lié à une vengeance par la mort par un membre de ladite famille. Ce droit de défense pour l’honneur est accepté par le roi puisqu’il gracie les meurtriers : ils se sont vengés pour l’honneur. Cependant note l’historienne, les pratiques liées à la défense de l’honneur deviennent à la fin du Moyen Âge de plus en plus réservées aux aristocrates : c’est le cas des duels par exemple.

Peuple et croyance au Moyen Âge

Cette partie « Croire et faire croire » est celle que j’ai le moins appréciée du livre. Claude Gauvard m’a appris beaucoup : elle évoque la construction de Notre-Dame par Maurice de Sully, très bon intendant. Il souhaitait faire de cette cathédrale à l’architecture gothique un instrument de pouvoir et de puissance de l’Église, mais aussi de son évêché dans un contexte de concurrence. Son bâtiment est aussi un lieu d’instruction, non pas nécessairement pour le peuple, mais pour le clergé lui-même grâce aux vitraux, livres et sermons prodigués par Sully.

L’historienne parle aussi de « l’autre croisade des chrétiens », non pas des conflits armés en Terre Sainte mais celle de l’instruction. Le pape Innocent III au concile de Latran IV en 1215 confirme et relance l’idée d’une formation beaucoup plus forte des membres du clergé parfois jugé trop incompétent. Elle évoque dans ce chapitre la naissance des ordres mendiants qui prêchent dans les rues, dans un contexte où les hérésies montent comme les Albigeois dans le sud de la France.

Un autre chapitre aborde un épisode célèbre et adoré du Moyen Âge : la fin des Templiers. Une fois la ville de Saint Jean d’Acre perdue en Orient, l’arrêt de la Reconquista, les Templiers reviennent en France sous les ordres de Jacques de Molay. Claude Gauvard revient sur l’inaction du peuple et leur manque de réaction lorsque les membres des Templiers sont brûlés sur le bûcher par ordre du roi après des aveux (forcés) d’hérésie sous la torture. Dans ce cadre, elle aborde la fabrique de l’opinion et les rumeurs qui ont produit petit à petit à l’époque l’idée que l’ordre des Templiers n’avaient plus aucune raison d’exister, ajouté à cela le refus d’une réforme de l’ordre proposée par le pape et l’envie de Philippe le Bel d’être lui-même le fer de lance contre l’hérésie.

Enfin, Claude Gauvard revient sur les merveilles et légendes au Moyen Âge. Tout comme dans l’Antiquité, la culture savante et la culture populaire expliquent certains moments et épisodes de leur vie par des catastrophes naturelles. Ainsi, des défaites, des épidémies, des famines sont liées à la colère des dieux, manifestée par une tempête, un orage, une inondation… Toutefois, Claude Gauvard explique que la fin du Moyen Âge est aussi une période où la rationalité s’exprime, et notamment dans les tribunaux judiciaires. Ainsi, la théorie de la cruentation était la suivante : si le cadavre saignait, c’est que le meurtrier était présent sur les lieux. Cette théorie ne devient plus suffisante pour les juges qui ont besoin de preuve rationnelle. Il n’empêche pas que les légendes sont parfois produites et instrumentalisées par les élites elles-mêmes. L’historienne narre la légende de la fleur de lys comme symbole de la monarchie française. Celle-ci aurait été ramenée en même temps que la Sainte-Ampoule durant le baptême de Clovis. Une explication donnée bien longtemps après les événements, mais qui donne à la fleur de lys une dimension sacrée.

J’an néanmoins moins aimé cette partie car parfois le rapport au peuple n’était pas assez poussé et ne permettait pas à l’ouvrage d’être totalement cohérent par rapport à son sujet.

Gouverner le royaume de France

Dans une troisième partie, Claude Gauvard revient sur la construction de l’État à la fin du Moyen Âge (un chapitre qu’on peut conseiller à ceux qui préparent le concours). Plus particulièrement, elle aborde ce thème sous l’angle de la justice, sa spécialité. L’historienne mentionne d’abord le corps du roi qui se détache petit à petit de la personne : une distinction entre l’être qui incarne le roi, et le corps qui symbolise l’État. Elle raconte l’importance des soins prodigués à ce corps, et parfois les quelques malheurs à ceux qui n’arrivent pas à le soigner.

Ensuite, elle revient sur la naissance du service de l’État qu’elle place au Moyen Âge. Servir pour l’État, encore plus lorsque le roi est malade, incapable, ou fou (n’est-ce pas Charles V ?). Claude Gauvard prend l’exemple du Parlement de Paris né au XIIIe siècle (cour de justice, et d’appel) et qui tend à prendre son indépendance. Son personnel est varié mais les nouveaux membres sont recrutés parmi les réseaux de ceux qui y travaillent déjà. Cette institution devient un tremplin social pour ceux qui y travaillent, et centrale dans l’administration du royaume.

Dans un autre chapitre, elle poursuit son idée avec une question intrigante : peut-on juger les juges ? La justice devient rationnelle par la charge de la preuve, mais a aussi de plus en plus pour mission de rendre la « bonne justice » en cherchant la vérité, et non plus en rendant des verdicts pour avoir la paix sociale. Dans ce chapitre la spécialiste aborde le métier de juge au Moyen Âge qui souffre d’abord d’un déficit de légitimité auprès de la population. Cette dernière croit d’abord surtout au Jugement Dernier. Les théoriciens médiévaux avancent l’idée alors que les juges ont un pouvoir de justice délégué par le roi, et donc de Dieu. Le métier de juge devient légitime. Les règles de la justice s’appuient donc sur les écrits chrétiens. Claude Gauvard poursuit sa description du métier de juge. D’abord, la difficulté du métier. Outre ceux qui pourraient avoir envie de se venger contre des peines trop lourdes, c’est la charge de rendre la « bonne justice » avec la peine exemplaire (exemplaire ne veut pas dire la plus sévère). Cette réussite permet de faire des juges des personnages centraux de l’administration monarchique, poussant même la population à utiliser elle-même la justice : c’est une judiciarisation de la société.

Sur le même thème de la justice, Claude Gauvard aborde l’idée beaucoup répandue d’un peuple très violent. Mais comment définir cette violence ? D’abord, du temps des principautés dans la féodalité (IXe-XIIe siècle), les seigneurs se faisaient souvent la guerre il est vrai. Mais un premier mouvement de paix, la paix de Dieu, eu lieu au XIe siècle pour réglementer et stopper les abus des guerres. Ensuite, pour nuancer, certaines violences sont par contre autorisées. Nous avons parler des vengeances pour l’honneur où de nombreux habitants du peuple ont été pardonnés par le roi par lettre de rémission après des homicides destinés à venger l’honneur d’un membre de leur famille. 

Dans cette partie, Claude Gauvard aborde donc la peine de mort. Très souvent exigée par les avocats mais dans l’art de mieux négocier ensuite, elle est en réalité très peu donnée. Et lorsque le coupable y est condamné, il peut demander à être gracié. Plus intéressant encore, l’historienne parle des difficultés des juges à sanctionner ainsi. Non par peur de révoltes – qui peuvent se produire – mais n’oubliant pas qu’ils sont des humains et que condamner devant Dieu à Homme à la mort est difficile.

Claude Gauvard parle ensuite de l’opinion publique et de sa création à la fin du Moyen Âge. Dans un pays cloisonné (grand, où l’on voyage peu, différentes langues), les nouvelles lois parviennent dans les territoires au bout d’un ou de deux mois. La réception de l’information dépendant aussi de l’importance de la nouvelle, de l’émetteur et du récepteur. Surtout, elle coûte très chère mais est primordiale en période de conflits. Elle aborde aussi les modalités de la transmission de l’information, les acteurs de celle-ci et la diffusion. Une information qui peut être écrite, ou orale, ou combinant les deux. Elle évoque aussi la propagande construite par une élite culturelle et politique et diffusée aux autres élites, mais aussi au peuple. Dans le cadre du conflit de la guerre de Cent Ans, l’opinion publique naît. Le peuple confronté à différents partis et aux aléas de la guerre n’a pas à attendre la propagande politique pour se faire une opinion de ce qu’ils vivent au quotidien, et peuvent manifester leur opinion durant les révoltes (grande Jacquerie de 1358).

La condition féminine au Moyen Âge

Après une brève historiographie où Claude Gauvard explique que les historiens ont pris du temps à s’emparer du sujet de la condition féminine au Moyen Âge, l’historienne rappelle que les sources de l’époque sont écrites par et concernent principalement les Hommes. Dans un chapitre où elle revient sur la condition féminine à l’époque médiévale, elle relate qu’il ne faut pas être caricatural. Si certains voient dans le Moyen Âge une période où les femmes sont les plus mal considérées, d’autres y voient une époque de naissance des premières féministes comme Christine de Pisan ou encore de la pureté de la femme. Un chapitre qui peut se résumer à « Eve ou Marie », la première étant responsable selon l’Eglise de tous les malheurs des Hommes, et la deuxième le modèle à suivre. De même, dans ce chapitre, l’historienne revient sur le rapport dans l’imaginaire contemporain des femmes avec les tâches domestiques. Par anachronisme, on pourrait ainsi prétendre que les femmes médiévales qui restent à la maison sont ainsi mal considérées. Ce serait oublier que l’administration de la domus, des biens, des finances et de la famille sont des rôles importants à l’époque, tout comme les aristocrates qui sont les intercesseurs de la paix dans les conflits.

Dans cette partie, Claude Gauvard revient sur deux personnages qui ont marqué la fin du Moyen Âge : Christine de Pisan et Jeanne d’Arc, leur rôle de femmes qui se « sont faits hommes » et qui ont marqué leur milieu, leur histoire et sont à l’origine de maintes études. En particulier, l’intéressant chapitre sur Jeanne d’Arc où l’historienne revient sur le procès en sorcellerie et dont l’acte de condamnation ne mentionne justement pas que Jeanne fut condamnée pour ce motif puisque ce ne fut pas prouvé, mais uniquement pour rébellion.

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