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Lorsque la Chine s’ouvre économiquement sous Deng Xiaoping à la fin des années 1970, nombreuses sont les interrogations sur le passage à plus ou moins long terme d’une Chine communiste à une économie de marché. À l’heure où l’on se demande si la Chine est communiste, Alice Ekman dans son ouvrage Rouge vif : l’idéal communiste chinois explique et détaille quelles sont les caractéristiques du communisme chinois qui a tendance à se renforcer dans le pays, et ses conséquences sur la politique étrangère du pays.


Cadre du livre Rouge vif : l’idéal communiste chinois


Alice Ekman est une ancienne responsable des activités Chine au centre Asie de l’Ifri. Depuis 2019, elle travaille à l’Institut d’études de sécurité de l’Union Européenne et enseigne la Chine contemporaine à Sciences Po dont elle détient un doctorat en relations internationales. Ses recherches portent sur la politique intérieure et extérieur de la Chine ou encore la diplomatie chinoise et ses relations avec l’Union Européenne, objets entre autres de son livre.

Ce compte-rendu ne sera pas exhaustif et provient du livre Rouge vif : l’idéal communiste chinois d’Alice Ekman. Il en reprend les principales idées d’une lecture accessible dès la fin du lycée.

Lecture conseillée et source : Alice Ekman, Rouge vif : l’idéal communiste chinois, 2020 (rééd. 2021), 224 p.
Livre accessible dès la fin du lycée.


« La Chine n’est plus communiste », voilà le point d’entrée d’Alice Ekman pour lancer son ouvrage. Tout au long de son ouvrage, elle s’attache à démontrer le contraire. Malgré l’ouverture économique et libérale (maîtrisée et contrôlée) de la Chine sous Deng Xiaoping dans les années 1970, la Chine n’est pas une économie de marché selon les standards des États-Unis et de l’Union Européenne. Pis encore, elle a tendance à se fermer. Alice Ekman démontre à travers dix constats que la Chine de Xi Jinping est communiste, et qu’elle l’est de plus en plus. Elle s’attache à mettre en avant les héritages soviétiques d’abord notamment dans son modèle de fonctionnement : parti centralisé et unique, intervention massive de l’État dans une économie planifiée, et enfin des fonctionnaires, des entreprises et une population contrôlés et embrigadés au quotidien. Ces héritages se retrouvent dans la communication officielle d’une Chine qui ne cache pas sa couleur politique : les grandes figures telles que Marx, Lénine, Staline et Mao inspirent et sont fêtées notamment à l’occasion du 200e anniversaire de Karl Marx fêté le 4 mai 2018 dans tout le pays. À l’étranger, les fonctionnaires chinois affichent faucille et marteau sur leur carte de parti tandis que trône au sein des assemblées un drapeau au fond rouge révolutionnaire et aux cinq étoiles d’une population dirigée par un parti unique.

Le renforcement du communisme sous Xi Jinping

Au-delà de l’héritage, Alice Ekman explique que le communisme a tendance à se renforcer dans le pays depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012. Tout d’abord, celui-ci s’est arrogé de plus en plus de fonctions : il contrôle autant la vie politique intérieure, que l’armée, la sécurité ou les affaires étrangères réduisant le pouvoir de son Premier ministre Li Qiang et des autres membres permanents du bureau politique du parti. Son mandat n’est clairement pas terminé puisqu’en 2018 il a mis fin à la règle constitutionnelle de deux mandats présidentiels et qu’en mars 2023, Xi Jinping a été réélu avec près de 3000 voix pour et aucune contre. À cela s’ajoute un contrôle disciplinaire plus lourd. Les hauts fonctionnaires doivent lire et relire les pensées de Xi Jinping, assister hebdomadairement à des séminaires dans lesquels ils s’auto-évaluent sous la surveillance d’autres membres du parti pour ensuite appliquer ses pensées dans leurs institutions – et ce dans une méthode bien cadrée. Cette campagne d’éducation s’inscrit plus largement dans une campagne anticorruption qui accentue le contrôle des élites. Ces dernières risquent de perdre leur place, d’être emprisonné ou humilié si elles ne sont pas considérées comme morales, provoquant parfois même un certain immobilisme par peur de prendre des initiatives. Au quotidien, la population est aussi de plus en plus contrôlée. Dans l’éducation, les sciences humaines et sociales tout comme l’art doivent servir utilement au parti au risque d’être censurés, quant aux écoliers, rappelons qu’ils portent des foulards rouges. Les quartiers sont surveillés par des comités de résidents et des secrétaires du parti investissent de plus en plus les entreprises privées – qui sont bien moins loties et avantagées dans l’économie chinoise que les entreprises publiques. Cette stratégie avancée par Xi Jinping s’inspire des erreurs de l’Union Soviétique. Pour le dirigeant chinois, les problèmes économiques entrainant des désordres sociaux et le manque de foi à l’idéologie communiste des élites dirigeantes ont été les deux grands facteurs de chute du régime.

Un communisme dictant la politique étrangère chinoise

En effet, Xi Jinping verrouille son pouvoir et celui du parti dans une Chine qui change. Depuis l’ouverture économique, les inégalités se sont fortement accrues, le chômage des jeunes explosent, les coûts de l’éducation sont beaucoup plus élevés tandis qu’il y a un manque de services notamment pour les plus âgés. Toute cette dynamique entre dans celle d’un redéploiement de l’économie chinoise : le modèle de croissance fondé sur les exportations et les investissements est supplanté par un modèle qui s’appuie sur la consommation intérieure et la limitation des dépenses publiques. La Chine a confiance en son système qu’elle décrit comme une « économie socialiste aux caractéristiques chinoises » qui la pousse au rang de 2e puissance mondiale économique en valeur absolue, résistante même à la crise des subprimes de 2008. Cette foi en son économie et la foi de Xi Jinping au communisme dicte ses stratégies à l’étranger, teintées de pragmatisme. C’est bien là les dernières parties développées par Alice Ekman. La Chine renforce sa position diplomatique à l’étranger par la constitution de grands forums réunissant nombre de pays émergents. Elle y investit énormément tant dans leur économie que dans la formation de leurs diplomates. La Chine se constitue un cercle d’amis car elle se veut un fer de lance contre les « forces hostiles occidentales » (Xi Jinping) et emploie une méthode de riposte systématique : à chaque critique occidentale contre la Chine, celle-ci réplique sur un dossier tout aussi important – comme les droits de l’Homme. Le constat d’une Chine encore communiste à l’intérieur du pays explique pour Alice Ekman sa stratégie à l’étranger. Il n’est plus question de soutenir les révolutions rouges mais de faire briller une « solution chinoise » comme modèle de référence et de marginaliser le capitalisme. De fait, la Chine se présente en concurrente directe à la première puissance mondiale, les États-Unis, dont la confrontation polarise le monde entre ces deux entités, résurgence de la guerre froide ? À ce sujet, Pierre Grosser en posait la question dans son ouvrage intitulé L’autre guerre froide : la confrontation États-Unis / Chine (CNRS, mars 2023).

Mon avis : un livre simple, clair et accessible

Ce livre d’Alice Ekman est très enrichissant. D’abord, il est vraiment accessible pour tout profane de la Chine de Xi Jinping car l’écriture est claire, parcourue d’exemples précis et notables. Régulièrement, le livre se répète aidant à retenir les principaux axes. Cela s’explique par l’idée que le livre d’Alice Ekman peut se parcourir d’un chapitre à un autre, qu’il ne nécessite pas une lecture linéaire. En effet, la grande introduction se présente pour l’auteure comme déjà un résumé synthétique de son œuvre : les plus pressés pourront ne pas le lire entièrement et avoir à l’esprit les principaux arguments de la chercheuse. Pour les plus pointilleux, 10 chapitres relativement courts se succèdent pour démontrer point par point les caractéristiques communistes de la Chine de Xi Jinping. Enfin, des parties sur les conséquences à l’intérieur du parti, dans la diplomatie chinoise et dans le monde du renforcement communiste fabriquent la deuxième moitié du livre. Un ouvrage qu’il faut classer dans sa bibliothèque si vous souhaitez parcourir la Chine contemporaine et ses dynamiques actuelles.

2 réponses à « [CR] La Chine est-elle communiste ? (Alice Ekman, Rouge vif : l’idéal communiste chinois) »

  1. Merci Jeremy, ton article est passionnant et lumineux ! J’ai noté cet ouvrage.

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