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La journaliste Audrey Lebel publie cet avril 2023 une enquête sur les relations franco-saoudiennes. Au sortir de la lecture se dessine un portrait peu élogieux de la France, pays des droits de l’Homme, « toutou » de la pétromonarchie qui joue avec les règles.


Cadre du livre Nos amis saoudiens


Audrey Lebel est une journaliste indépendante spécialisée dans les droits de l’Homme et des femmes et qui a travaillé régulièrement sur la Russie. Dans son livre Nos amis saoudiens, elle s’intéresse aux relations entre la France et l’Arabie Saoudite et de la complicité ou des tensions entre les deux pays. Audrey Lebel a interrogé de nombreuses personnes, de petits patrons espérant travailler pour la pétromonarchie à d’anciens ministres condamnés comme François Léotard, pour ceux et celles qui ont bien voulu répondre.

Ce compte-rendu ne sera pas exhaustif. Il en reprend les principales idées qui sont résumées ici.

« Quand d’autres pays ont condamné l’Arabie Saoudite, qu’a fait la France face à ces dérives ? Elle a œuvré à renforcer son partenariat, maintenu l’envoi de munitions, invité des soldats saoudiens à se former dans la plus prestigieuse école militaire française, mis au service du royaume ses communicants les plus redoutables, développé encore davantage ses accords culturels avec le royaume. Entreprises d’armement, chefs étoilés, architectes, économistes, politiques, présidents d’institution culturelle : tous aimeraient vendre leur savoir-faire à l’Arabie saoudite. A quel prix ? »

Lecture conseillée et source : Audrey Lebel, Nos amis saoudiens (éd. Grasset), 300 p.
Livre accessible (dès le lycée)


La France cherche à séduire l’Arabie Saoudite

L’Arabie Saoudite et ses multiples scandales politiques : portrait d’un pays douteux

Dans son livre, la journaliste Audrey Lebel démontre les tentatives de la France pour plaire à l’Arabie Saoudite, jusqu’à se rendre coupable de complicité à l’égard d’un pays autoritaire et qui ne respecte pas les droits de l’Homme. Rappelons que l’Arabie Saoudite est une monarchie sunnite vivant du pétrole et qui cherche à diversifier ses activités. Elle est dirigée par le roi Salmane en théorie et en réalité par Mohamed Ben Salmane (MBS) depuis 2015 en tant que ministre de la Défense et président du Conseil des Affaires économiques et du développement (CAED), puis Premier Ministre depuis 2022. Elle connait de nombreuses affaires qui ont affaibli son image sur la scène internationale :

  • L’affaire Karachi de 1994 qui est une affaire comprenant la vente de plusieurs sous-marins à l’Arabie Saoudite et au Pakistan et ayant financé de manière illégale la campagne présidentielle de Balladur en France. Cette affaire comporte plusieurs agents saoudiens. Elle serait possiblement liée aux attentats de Karachi (Pakistan) en 2002 qui seraient des représailles contre la France parce que le président Chirac aurait stoppé le versement des rétrocommissions finançant la campagne de son adversaire Balladur.
  • Plus d’une dizaine de responsables dans les attentats de 11 septembre étaient saoudiens.
  • En 2015, MBS s’est lancée dans une guerre au Yémen à la tête d’une coalition contre les rebelles houthis chiites (soutenus par le rival iranien) qui a fait 300 000 morts et provoquée la mort de nombreux civils. Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite cherche à sortir de ce bourbier. Les droits humains ne sont ni respectés par l’Arabie Saoudite ni par le gouvernement du Yémen et la guerre continue encore aujourd’hui.
  • Le journaliste arabe Jamal Khashoggi, directeur de Arab News, et critique de MBS a été assassiné et démembré en 2017 dans une ambassade en Turquie et dont les soupçons sur une opération commando provenant de Riyard sont très forts.
  • Le droit des femmes est très limité et la répression est forte contre les femmes, les opposants politiques et les autres clans puissants. L’iconique militante Loujain Al-Hathloul a été emprisonnée en 2018 pour avoir demandé le droit de conduire pour les femmes. Elle a été libérée en 2021 et les femmes ont obtenu depuis le droit de conduire.
  • Enfin l’Arabie Saoudite a en 2018 emprisonné et torturé de nombreux responsables du pays et de pays étrangers pendant plus d’un mois dans l’hôtel de luxe du Ritz-Carlton à Riyad, sous prétexte de lutte contre la corruption. C’est le cas du premier ministre libanais Hariri dont Emmanuel Macron a dû intervenir pour le faire libérer (à quel prix ?).

Les relations économiques de l’Arabie Saoudite avec la France sont peu importantes, la France n’est pas une grande alliée économique de l’Arabie Saoudite ni militaire (le pays est protégé par les États-Unis). Toutefois, la France, elle, recherche dans la pétromonarchie de quoi ramasser quelques billets par les investissements. En conséquence, la France cherche à plaire à l’Arabie Saoudite.

La France livre des armes et des formations à l’Arabie Saoudite

Comment ? D’abord, la France livre de nombreuses armes à l’Arabie Saoudite. Le pays est l’un des plus gros clients de l’armement français. Cependant, il faut apprendre à se servir et à manier ces armes achetées. La France propose aussi ses services de formation, que ce soit dans des écoles françaises réservées aux saoudiens en France comme à Commercy ou à l’étranger. Audrey Lebel soulève ainsi une question importante : des armes françaises ont été utilisées dans la guerre entre l’Arabie Saoudite et le Yémen, guerre où l’Arabie Saoudite ne respecte pas les droits de l’Homme. La France est-elle complice ? Les interrogés politiques de la journaliste semblent fermer les yeux sur cette question.

La France souhaite investir dans l’Arabie Saoudite à l’occasion de Vision2030

L’État mais aussi de grands groupes économiques français se voient miroiter des sommes astronomiques pour investir en Arabie Saoudite. En 2016, Mohamed Ben Salmane présente son projet « Vision 2030 ». L’Arabie Saoudite sait qu’elle ne pourra pas compter éternellement sur son pétrole et souhaite diversifier son économie. Plusieurs chantiers sont ainsi lancés : Neom est un projet de mégalopole au nord-ouest du pays, proche de la mer Rouge. Quatre villes reliées sont prévues d’être construites dont Al-Ula, une oasis importante de l’ancien royaume nabatéen qui comprend les vestiges archéologiques de Madaïn Saleh et la valorisation du patrimoine pré-islamique du royaume. Al-Ula serait une importante ville culturelle du pays. À cette occasion, une Agence française pour le développement d’Al-Ula (Afalula) a été créée. Beaucoup d’entreprises, autant de géantes (Total, Areva, Accor) que PME essaient de se mobiliser. C’est le cas aussi des institutions culturels à l’image de l’Institut du Monde Arabe (IMA) dont le président est Jack Lang. Néanmoins, le succès n’est absolument pas au rendez-vous.


Image de synthèse des deux immenses gratte-ciel parallèles. [NEOM/AFP]

Photo: Philippe Lopez Agence France-Presse Des manifestantes protestent devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Paris, le 8 mars 2019, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

L’Arabie Saoudite fait mumuse avec la France

Des factures et des dettes non payées

Dans son livre, la journaliste Audrey Lebel nous donne l’impression que la France est le jouet de l’Arabie Saoudite. Effectivement, plus on avance dans la lecture, plus des faits étonnants nous sont livrés. Le projet Vision 2030 serait selon certains experts destinés à être un échec, et selon d’autres un projet pourvoyeur de grosses sommes de billets. Or, il semblerait que l’Arabie Saoudite ne cesse jamais ses promesses de faire de la France et de ses entreprises un partenaire privilégié par toujours finir par trouver d’autres partenaires, moins chers. Que cela serait arrivé de nombreuses fois, mais que la France revient toujours, sans succès. Pire encore, pour certains contrats négociés, l’Arabie Saoudite ne paierait pas toujours ses factures, laissant des entreprises dans de grandes difficultés financières, sans parler des salariés. C’est le cas par exemple de l’entreprise Saudi Oger, une entreprise libanaise de BTP qui a fait ses plus grands chantiers en Arabie Saoudite. Or, l’Arabie Saoudite a arrêté de payer ses factures. Saudi Oger ne pouvait plus payer ses salariés et a a coulé. Cependant, en Arabie Saoudite travaillent beaucoup d’expatriés, c’est-à-dire des étrangers qui ont émigré en Arabie Saoudite pour y travailler. Dans l’Arabie Saoudite, le Code du travail saoudien impose le système de la kafala (parrainage). Les travailleurs voient leur liberté de circulation restreinte : ils ne peuvent quitter le payer sans l’autorisation de leur employeur. Dans les faits, de nombreux expatriés ont souscrits des crédits pour vivre en Arabie Saoudite et se sont vus bloqués dans le pays, faute de paiement. Les témoignages dans le livre Nos amis saoudiens critiquent le manque d’engagement de la France. Le non paiement des factures ne se produirait d’ailleurs pas uniquement sur le sol arabe…

Du travail dissimulé et de l’esclavage moderne

En effet, un chapitre du livre Nos amis saoudiens est réservé à « l’esclavage moderne ». Choquant, on y apprends que l’Arabie Saoudite faisait travailler dans son ambassade des employés sans nécessairement les payer, sans respecter le Code du travail et sans payer les impôts et cotisations sociales normalement dus : c’est du travail dissimulé. De hauts dirigeants saoudiens, comme la sœur même de MBS, ont déjà été condamnés par la justice française. D’ailleurs, la France est un paradis fiscal pour l’Arabie Saoudite car beaucoup d’entreprises, légalement grâce à des accords, ne paient aucun impôt ou aucune taxe.

Des palais au bord de la mer au mépris de la loi littoral

La loi littoral en France empêche d’aménagement au bord de la mer ce que l’on veut, quand on veut. Des études et des autorisations sont nécessaires, mais apparemment pas lorsque l’on est Mohamed Ben Salmane. À Vallauris (en PACA), MBS a privatisé une plage publique a voulu construire un accès personnel de sa résidence jusqu’à la mer au mépris de la loi et des réglementations. La mairie, les forces de l’ordre n’auraient rien pu faire, ordre du préfet et même d’en haut. Un sentiment de passe-droits qui n’a pas pu plu à la population locale…



L’aveuglement de la France, des personnalités politiques et la communication

Le travail des agences de communication

Comment malgré ses multiples affaires, l’Arabie Saoudite arrive à se faire une place sur la scène internationale ? L’affaire Khashoggi fut monstrueuse pour MBS qui fut considéré comme un paria. Emmanuel Macron a été le premier occidental à la réhabiliter, c’est dire la France qui court après l’Arabie Saoudite selon l’auteure. Cette image dégradée, MBS s’évertue à la soigner en finançant de nombreuses opérations de communication. Les deux prestataires les plus importants sont Havas et Publicis qui orchestrent de véritables campagnes de communication pour redorer l’image et attirer des investisseurs. L’écriture de livres glorifiant le pays ou son histoire sont tout autant d’autres œuvres qui sont destinées à soigner cette image. Par ailleurs, Audrey Lebel liste une quantité de personnes qui ont travaillé pour ces agences ou pour l’image de l’Arabie Saoudite dans l’équipe de campagne voire l’équipe présidentielle d’Emmanuel Macron.

La corruption et la pression sur des élites politiques et universitaires

Les élites politiques et les universitaires sont aussi soumis à cette pression, voire à cette corruption. Audrey Lebel dans son livre Nos amis saoudiens met en cause de nombreuses personnalités politiques qui ont des relations très proches de la pétromonarchie. Outre ceux qui sont directement mis en cause, il y a aussi la corruption passive qui est mis en évidence : comment un voyage tout frais payé et un séjour des plus beaux dans le pays peuvent rendre des parlementaires en délégation objectifs ? Un passage du livre est marquant : des parlementaires auraient été invités (plutôt obligés) de visiter un camp au Yémen où l’Arabie Saoudite soignait la population civile pour montrer que la coalition faisait attention à leurs actes de guerre. Or, le parcours était totalement encadré, les lieux et les personnes choisis… De même, on y apprends que des élites universitaires moyennant une somme sont invités à répondre à des sondages d’opinion sur le pays… Un autre passage est marquant. Lors d’une commission parlementaire, la chercheuse Fatiha DAZI-HENI, auteure de L’Arabie Saoudite en 100 questions, a été auditionnée. Elle commentait les relations franco-saoudiennes et faisait le constat d’une France qui courait après une Arabie qui se fichait d’elle. Le ministère de la Défense aurait fait pression sur elle, Audrey Lebel indiquant que la chercheuse, traumatisée, ne souhaite plus communiquer publiquement sur les relations entre la France et l’Arabie Saoudite.

Quel bilan ?

La France est un pays qui a besoin d’argent. L’Arabie Saoudite est un pays qui en a, et qui cherche à diversifier son économie. MBS est le nouveau prince du pays qui derrière son autoritarisme joue un personnage libéral et réformateur. La France souhaite améliorer ses relations économiques et militaires avec l’Arabie Saoudite alors que la plupart des pays occidentaux sont en retraits. Or, au sortir du livre, la France semble courir sans succès derrière les pétrodollars, au point de dénigrer sa propre image sur la scène internationale et son image de marque du pays des droits de l’Homme. Depuis la guerre en Ukraine et les dépendances énergétiques accrues, les pays occidentaux doivent revoir leur copie. En France, il semblerait que l’Arabie Saoudite est un pays sur lequel on peut fermer les yeux jusqu’à ce que le bon numéro du Loto tombe.


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