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Sur la table « Questions d’actualité » trônait ce livre, La pêche du jour. L’auteur, Eric Fottorino, est un journaliste que j’apprécie. Dans un lourd dialogue, Eric Fottorino projette et questionne notre déshumanité complice à travers cet écrit qui liste tout un ensemble de thématiques autour de la question migratoire. Un livre puissant pour la géographie sensible.

Vous voguez en mer avec en tête des pensées légères, des pensées d’enfant. L’impression que l’on vous offre le monde en cadeau. Soudain vous apercevez un corps qui flotte, puis deux, puis dix, puis cent, plus encore certaines nuits, corps inertes, ballottés par les courants ou juste bercés si l’eau calme. Ils puent le gazole à plein nez. Leur peau luit de fioul lourd. À cet instant, je parle de la première fois, impossible d’accepter que ce soient des êtres humains, des êtres de chair et de sang, vos semblables, vos frères. Sinon vous êtes aussi morts qu’eux. Il vous faut d’urgence une échappatoire. Une transformation infime s’opère dans votre espère, une légère oscillation. Apprendre à ne plus voir ce que vous voyez. À ne plus croire en vos yeux. Votre regard se modifie à jamais.

Eric Fottorino, La pêche du jour.

La pêche du jour


Auteur : Eric Fottorino

Éditeur : Philippe Rey

Genre : Littérature française

Sortie : 27 janvier 2022

Nationalité : Française

Pages : 67 pages

Prix : 9,00€

Résumé : Deux personnages réunis sur le port de Lesbos, en Grèce, évoquent le destin des migrants. L’un est un étrange pêcheur qui fait commerce de leurs corps sans vie. L’autre un client dont on ne sait s’il veut acheter ces cadavres, ou se racheter. D’emblée s’installent le malaise et le questionnement. Pourquoi ce mélange de cynisme, d’indifférence, d’impuissance ? C’est le miroir de nos renoncements que nous tendent les mots âpres de l’auteur qui se demande si nous avons cessé d’être humains. Au moment où le sort des réfugiés est sans cesse instrumentalisé, où des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants meurent de traverser la Méditerranée parce qu’ils veulent simplement vivre, La Pêche du jour est un texte sombre et bouleversant. Pour réfléchir, pour s’indigner, pour agir.

Note : 4 sur 5.

Des migrants à l’étale

C’est dans un curieux contexte que se dresse le dialogue de La Pêche du jour d’Eric Fottorino. Un pêcheur et un client discutent d’un seul et même sujet : la question migratoire. Le client horrifié par la déshumanité du pêcheur qui vend sur son étale toute une myriade de cadavres se voit reprocher son inaction par celui même qui se vante de vider la Méditerranée pour couvrir le macabre spectacle. C’est un renvoi de balles qui se joue entre nos deux interlocuteurs avec, au milieu, des vies perdues. Érythréens, Syriens, Libanais, la question ne porte pas tant sur ce que font et ce qu’on fait ces migrants mais plutôt sur l’action des passeurs, des trafiquants, des États, des militants, des citoyens, des médias plus ou moins responsables de leur sort avec une critique acerbe.

– Ils ressemblent à de petites bouées qui flottent, surtout les gamins. Ils ont le ventre gonflé d’avoir bu la nuit. Sur mon ardoise j’écris « Noirs de ligne ». C’est apprécié de la clientèle. Je fais bien attention à ne pas les abîmer en les remontant. Mais il y a du déchet, forcément.

Eric Fottorino, La pêche du jour.

La question migratoire et ses aspects

En vérité, tout y passe dans La pêche du jour. Les facteurs de départ, l’origine des migrants, qui sont-ils et que souhaitaient-ils faire, le passage de la Méditerranée entre l’espoir et le désespoir, l’arrivée dans les îles et enclaves, le blocage à la frontière, le passage ou non de la frontière quand ceux-ci n’en sont pas encore morts, les accords de Dublin, l’accueil ou le faux accueil, la récupération politique et l’opinion publique, le trafic des migrants ou de leurs cadavres, les navires humanitaires, les médias cherchant le buzz… Une liste de thématiques passée en revue dans un discours à double voix de 70 pages qui fait un état des lieux de la question migratoire. Un état des lieux rapide, mais qui sert la finalité du projet : questionner notre (dés)humanité et notre responsabilité sur ce qui se passe aujourd’hui dans une mer devenue cimetière.

– J’ai entendu parler d’un petit Chinois de six ans tout ce qu’il y avait de vivant qui s’est fait voler ses yeux en pleine rue. Deux individus l’ont drogué, et hop, ablation des deux globes oculaires. Ses agresseurs ont menacé de les lui crever s’il pleurait. Ils lui ont retourné les paupières, ont prélevé les cornées, et ont balancé le reste. Vous avez déjà lu l’espérance dans le regard des enfants ? Quand ils lèvent les yeux vers vous, remplis d’une immense attente ? Alors les priver d’yeux dans l’état où ils nous arrivent, c’est ne plus sentir peser cette demande insupportable que nul ne pourra satisfaire, pas plus leurs parents qu’aucun d’entre nous dans cette vie. Nous, on travaille proprement et sur des cadavres. Je vous garantis qu’ils ne sentent rien.

Eric Fottorino, La pêche du jour.

Pour les initiés ou les profanes de la question ?

Si Eric Fottorino a écrit un dialogue fort, avec quelques passages assez difficiles, est-il accessible ? L’initié que je suis ayant préparé le CAPES sur la question des « Frontières » a saisi l’ensemble des thématiques décrites ici. Néanmoins je doute que le profane puisse comprendre ce qui n’est pas explicité dans La pêche du jour. Or, il s’agit de sensibiliser celui-ci avant tout. Quoi qu’il en soit, le géographe enseignant que je suis est très intéressé par ces lignes de dialogue vives, et j’espère pouvoir en construire une séquence un jour…

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