« Ma personne est sacrée », « La République, c’est moi ! ». Des mois après la sortie de Jean-Luc Mélenchon lors de sa perquisition, les propos du député La France Insoumise continuent de faire polémique, et sont utilisés de diverses manières : sur le ton de l’humour, de manière injurieuse, de manière diffamatoire. Ce que révèle la très grande majorité des commentaires, c’est l’incompréhension. Pourtant, les paroles de Jean-Luc Mélenchon sont pleines de sens et absolument pas narcissiques : tant on sait qu’il est cultivé et extrêmement républicain, il devient aisé de les comprendre pour ceux qui écoutent et cherchent à comprendre. Explications !
Jean-Luc Mélenchon est incontestablement républicain et est un politique très démocratique au point d’être considéré comme un tribun du peuple : le pouvoir doit revenir au peuple face à la caste politico-économique. Son programme est tourné vers une VIe République dans laquelle une Assemblée Constituante en définirait la nouvelle constitution. Au programme : nombre de référendum et davantage de séparation des pouvoirs. Tout politisé connaît ses discours dans de plus amples détails, je ne vais pas revenir dessus. Ce rappel est pourtant nécessaire car il convient de comprendre la personnalité de Jean-Luc Mélenchon et de revenir en arrière, au temps de la République Romaine.
En -494, la plèbe fait sécession et se réunie sur l’Aventin (l’une des collines de Rome) en opposition au patriciat, propriétaires et bien plus aisés que la plèbe. En un terme extrêmement anachronique, la plèbe fait « grève ». Elle refuse de faire la guerre, d’entrer sur la ville et s’installe sur le Mont Sacré. La chute de la royauté romaine n’a effectivement pas profité à l’ensemble du peuple mais seulement à une oligarchie. La plèbe est accablée de dettes, n’a que très peu de droits civiques et politiques. Cette sécession, qui n’est que la première d’une série, devient un problème pour Rome, entourée de potentiels ennemis : elle tourne désormais au ralentie, les patriciens ayant perdu leur main d’œuvre et leurs fantassins.
Afin de régler le problème, de longues négociations se sont engagées. C’est Menenius Agrippa, soi-disant consul de l’année -503, qui réconcilie la plèbe et la patriciat en rédigeant un apologue afin de ramener les plébéiens à la raison. Il raconte l’histoire des membres et de l’estomac. Rome, pour lui, est un corps humain. Les patriciens sont l’estomac, les plébéiens sont les mains, la bouche et les dents. Si les plébéiens font sécession : c’est tout l’organisme qui s’affaiblit. Que pour Rome aille de l’avant et puisse survivre, elle a besoin de la collaboration de tous. C’est une double dépendance : les patriciens ont besoin des plébéiens, et les plébéiens ont besoin des patriciens. Ce genre de discours, par ailleurs, on le retrouve systématiquement dans les débats contemporains entre militants de gauche et de droit au sujet du patron et de l’ouvrier. Dans ce débat, Jean-Luc Mélenchon est évidemment du côté des ouvriers. Cet événement, Tite-Live nous le raconte dans son Histoire romaine, mais les historiens se demandent s’il n’a pas édulcoré la violence. En réalité, il semblerait qu’il n’y ait pas eu qu’une sécession mais un enchaînement d’événements qui auraient conduit à une révolution. Il convient de rappeler qu’à l’époque, la plèbe est un État dans l’État, elle ne possède pas la richesse mais est très organisée et forte, liée par un serment, le sacramemtum, et celui qui la trahie est théoriquement voué à la mort.
Finalement, cette situation finit par se régler et la plèbe obtient plusieurs concessions déterminantes. Elle obtient une assemblée des plébéiens, où sont exclus les patriciens, dans laquelle ils élisent leur propre magistrat et votent leur propre loi que sont les plébiscites : on pense à : « la révolution du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Ce magistrat qu’ils obtiennent : c’est le tribun du peuple. Cette charge est organisée sur le modèle de la charge de consul – exercé par les patriciens – afin d’avoir un contrepoids. Néanmoins, ils n’ont pas d’imperium, ils ne sont pas tout à fait égaux et ne peuvent pas, par exemple, commander l’armée. Néanmoins, ils obtiennent la tribunicia potestas, le pouvoir tribunicien qui essaie de compenser cet imperium. De ce fait, ces représentants de la plèbe ont plusieurs pouvoirs. Le pouvoir d’aide (auxilium) qui permet d’aider un plébéien menacé par un patricien. Le droit de coercitio qui leur permet d’imposer une amende ou de punir de mort quelqu’un qui s’en prendrait à tort à un plébéien. Et le droit de véto, l’intercessio, qui ne peut être annulé que par le second tribun de la plèbe en exercice. Enfin, les tribuns de la plèbe sont dits sacro-saints : il est impossible et illégal de s’attaquer à eux physiquement. La charge du tribunat de la plèbe est déterminante puisqu’elle exercera un vrai contre-pouvoir dans l’histoire de la République Romaine, et de grands personnages la tiendront en tentant de grandes réformes au profit de la plèbe tels que les Gracques.
Jean-Luc Mélenchon possède en lui une grande culture républicaine et est réputé pour être un député cultivé, c’est pour cela que ses erreurs (historiques notamment) lui sont beaucoup reprochées. Il est incontestablement influencé par plusieurs modèles démocratiques, et la République romaine en fait partie, démocratique est-elle, sur le papier. Et surtout, derrière son icône de tribun du peuple, bien qu’il y a une sincérité évidente dans son projet, dans ses dires dans ses faits et dans ses propos, qu’il emprunte parfois à l’histoire comme ici, il y a bien évidemment une motivation politique. Il se sert de cette icône, et il faudrait être naïf pour ne pas y croire.
Mais grâce à tout cet avant-propos, il devient ainsi plus clair est compréhensible de comprendre les propos de Jean-Luc Mélenchon. Lorsqu’il dit « Ma personne est sacrée », il fait donc bien référence au tribun de la plèbe de la République romaine qui était sacro-saint. Personne ne pouvait s’attaquer à eux physiquement, et c’est une parole déboutée dès lors que la police l’a touché. Et lorsqu’il énonce ensuite : « La République, c’est moi ! », c’est une parole qu’il dit en tant que parlementaire, la République, ce n’est pas lui, c’est bien justement tous les parlementaires qui en sont l’un des fondements. En outre, il s’exprime bien en tant que parlementaire, écharpe de fonction portée, aux policiers en disant « Je suis parlementaire, monsieur ».
De plus, il faut replacer la situation dans son contexte. Plusieurs permanences et logis des députés et membres de la France Insoumise sont perquisitionnés selon un prétexte douteux et surtout avec une force mobilisée singulière. De surcroît, on ne l’a pas laissé passé quand il en avait le droit, et étant un personnage aux nerfs vifs, il s’est emporté rapidement. Cette perquisition était probablement une œuvre d’intimidation, aujourd’hui, des mois après cette colère, bien d’autres événements nous ont démontré une forte répression, des moyens d’intimidation envers des journalistes et des médias (tentative de perquisition de Mediapart) sans faire sourciller une seule fois le gouvernement qui assume à l’intérieur, et par la communication, relativise les faits.
J’en ai terminé. Deux petites phrases ont fait beaucoup coulé d’encre, et les médias s’en sont donnés, comme à chaque intense réaction de n’importe quel politique à cœur joie. Derrière, les militants ont suivi. Pour dénoncer, se moquer, critiquer, insulter, d’autres l’ont défendu avec acharnement, l’ont excusé ; la plupart du temps, le tout était irréfléchi, tout bonnement militant, sans être constructif. Pour ma part, j’ai tenté d’apporter ma pierre à l’édifice, en proposant grâce à mes connaissances acquises en cours d’histoire, d’apporter une lumière à ce triste spectacle.
Laisser un commentaire