Dans cette chronique, il s’agit de présenter succinctement le livre de l’historien Olivier Jandot : Les délices du feu. L’auteur propose une histoire des sensibilités autour du froid et de la chaleur à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe, et même au-delà). Vous verrez que les mentalités passées sont différentes des nôtres car les réalités quotidiennes ne sont pas du tout les mêmes.

Cadre du livre
Les délices du feu
Olivier Jandot est agrégé et docteur en histoire. Son livre Les délices du feu est issu de sa thèse intitulée Les délices de la flamme : la sensibilité au froid et à la chaleur dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècles) dirigée par Jean-Pierre Gutton.
Ce compte-rendu n’est pas exhaustif. Toutes les idées appartiennent à l’auteur, l’article présent n’en fait que reprendre et résumé les principales parties.
Lecture conseillée et source : Olivier Jandot, Les délices du feu, Champ Vallon, 2017, 344 pages.
Livre accessible pour un public en licence ou passionné d’histoire.
Le froid et le chaud : une expérience sensible
Étudier ce que ressentent les personnes du passé sur le froid et le chaud pose un premier problème : quelles sources permettent de nous renseigner sur ces sensibilités ? Pour son livre issu de sa thèse, Olivier Jandot s’appuie sur des sources variées : les écrits du for privé (c’est-à-dire les écrits personnels des individus), les chroniques (des habitants ou le curé qui racontent au jour le jour ce qui se passe), les inventaires après décès, les représentations artistiques telles que les peintures, ou encore la littérature médicale et technique. Des sources variées, mais rares sont celles où des tartines sont écrites sur le chaud et le froid – une absence d’écriture qui expliquerait une insensibilité aux canicules et aux grands hivers, ou bien une banalité qui expliquerait pourquoi on s’y attarde peu ? Qu’est-ce qui est raconté, qu’est-ce qui n’est pas raconté et pourquoi ? L’historien doit donc ruser et faire appel à son intelligence pour lire entre les lignes ou les couches de peinture et essayer de comprendre ce qu’est cette sensibilité aux températures extrêmes.
De l’époque moderne à aujourd’hui, il y a des permanences et des mutations sur les sensibilités liées aux températures. Si aujourd’hui les bulletins météos à la télévision, en ligne ou nos thermostats nous indiquent précisément les températures à l’intérieur et à l’extérieur dans une approche objective et scientifique, il faut concevoir l’idée que les sociétés passées ne disposaient pas de ce matériel. Les premiers thermomètres apparaissent au XVIIe siècle et ils ne seront fiables surtout qu’au XVIIIe siècle (Réaumur en France, Fahrenheit en Allemagne). Auparavant, les habitants ressentaient les températures par la vue, le toucher, l’odorat et l’ouïe.
Dans Les délices du feu, Olivier Jandot s’intéresse assez peu à la chaleur extrême de l’été car les sources nous parlent surtout du froid. En été, ce sont les canicules qui reviennent le plus souvent. On combat la chaleur en aménageant les horaires de travail, en se baignant et en achetant de la glace. Tout dépend bien évidemment du lieu où l’on vit (ville/campagne), de sa classe sociale, et de son métier. Quand les aménagements de travail sont impossibles, la chaleur extrême provoque des malaises. De ce point de vue là, les problèmes posés par la chaleur et les solutions n’ont pas beaucoup changé.
Combattre le froid, mourir de froid
Ce qui revient le plus dans Les délices du feu, c’est la saison hivernale et les grands froids. Olivier Jandot s’attarde à nous expliquer comment les hommes et femmes du passé définissent ce froid. À l’époque moderne, un jour froid est un jour où il gèle, c’est-à-dire le moment où il devient difficile de lutter contre le froid. La société européenne est réellement vulnérable à ce froid : les morts aux bords de la route à cause de la température glaciale ne sont pas rares, les engelures aux pieds, aux mains, aux organes génitaux sont fréquentes. Mourir de froid est une réalité, presque banale même pour l’époque, moins choquante que de nos jours.
Cette vulnérabilité au froid s’explique par de multiples facteurs. Les vêtements ne sont pas adaptés et les habitations ne sont pas isolées (la température extérieure en hiver n’est pas très différente de celle en intérieur). Olivier Jandot nous explique que la société de l’époque est dans une économie permanente : les moyens pour lutter contre le froid sont limités et différemment accessibles à chacun selon la région ou la richesse de la famille. On a dans notre imaginaire la cheminée : ce bon petit feu agréable qui crépite dans l’âtre et qui réchauffe le corps alors qu’on entend souffler le vent d’hiver dans les grands sapins verts et en dessous de la porte. Oubliez ce fantasme. Olivier Jandot y revient longuement : les délices du feu sont loin d’être ce que vous croyez.
Les moyens pour lutter contre le froid
En France, il y a quasiment une cheminée dans chaque maison au XVIe siècle. Cependant, la chaleur diffusée est très faible, à peine l’habitant s’éloigne de la cheminée et que la chaleur a disparu. La vie quotidienne se déroule tout près d’un feu qui ne saura pas réchauffer entièrement la pièce principale. De plus, les sources expliquent que si la face du corps est réchauffée par le feu, le dos lui est froid car les habitants sont bien souvent obligés de laisser ouvert leur porte pour permettre au feu de la cheminée de continuer à brûler (question d’apport en oxygène et d’évacuation des fumées…). Si les cheminées se multiplient durant la période, et si elles sont perfectionnées au XVIIIe siècle (Gauger, Franklin), elles restent un outil limité. N’oublions pas qu’il faut alimenter la cheminée : au XVIIIe siècle, le bois devient rare et cher. Des matériaux de substitution, moins performants, peuvent être utilisés comme de la tourbe ou le charbon. On notera dans les régions germaniques l’utilisation du poêle, beaucoup plus efficace, mais rejeté par les Français qui sont trop attachés à leur cheminée peu utile mais lieu de sociabilité important et surtout un objet d’apparat et de décoration.
En réalité, la cheminée n’est pas du tout pour les habitants de l’époque le lieu où l’on se réchauffe. Il existe des chaufferettes, mais elles sont assez dangereuses et limitées à l’individu. Il faut plutôt penser, notamment pour les ruraux et les paysans (85% des habitants), à l’étable. En effet, on y retrouve des animaux. Êtres vivants qui procurent de la chaleur, les habitants dorment à leurs côtés, ou pas loin, dans le foin. Lorsque les matériaux sont suffisants, il y a bien évidemment le lit qui reste encore un lieu de confort contre le froid de nos jours. Enfin, l’entassement des corps. Dormir les uns à côté des autres est recommandé lorsqu’il fait froid afin de partager la chaleur corporelle.
Les médecins de l’époque seraient en colère contre nous
Les habitants de l’Ancien Régime ont donc l’habitude de vivre dans le froid l’hiver – et nous parlons ici d’hivers pour lesquels il fait bien plus froid qu’aujourd’hui, notamment les grands hivers du XVIIe siècle où il fait -10°C à -20°C dans les régions continentales et montagnardes plusieurs jours de suite. Les habitants de l’époque sont donc plus robustes, habitués à ce froid qui est un quotidien. Mais saviez-vous qu’aujourd’hui, si un habitant de l’époque moderne entrait dans notre maison chauffée à 19-20°C l’hiver, il décrirait notre maison comme une fournaise ?
Olivier Jandot nous apprend que les températures appréciées par les habitants de l’époque et recommandées par les médecins et hygiénistes du XVIIIe siècle sont de 12-15°C en intérieur. Au-delà, la température est considérée comme désagréable pour les habitants, et selon les médecins elle pourrait causer des problèmes de santé. Quelques auteurs affirment même qu’il faut habituer l’enfant à ne pas trop avoir chaud sinon son corps n’arrivera pas à tolérer la température froide de l’hiver. Une certaine éducation à la dure…
Pour conclure
Les délices du feu d’Olivier Jandot sont une très bonne porte d’entrée dans la vie quotidienne et dans l’histoire des sensibilités des habitants de l’époque moderne. Même si le propos se concentre principalement sur cette période – aux regrets de l’historien qui applique un découpage académique traditionnel en périodes – on peut entrapercevoir des regards vers le passé et vers les XIXe-XXe siècles pour y déceler certaines permanences de ces sensibilités. On retient que les populations du passé ont un regard très différent sur les températures. Les habitants ne mesurent pas, ils ressentent. Ils souffrent véritablement du froid (engelures, morts) bien plus que nous et les moyens de se réchauffer sont extrêmement limités, autant techniquement qu’économiquement. Ces conditions difficiles sont pour eux une normalité, une banalité qui n’arrêtent pas ou peu la vie quotidienne (alors que nous, de nos jours, dès qu’il neige, c’est la panique). On remarque au XVIIIe siècle un intérêt scientifique sur les températures et les moyens de mieux se réchauffer : une profusion des débats sur les températures idéales dans lesquelles il faudrait se loger pour vivre convenablement, loin des standards contemporains… Cependant, comme l’affirme l’auteur, la lutte contre le froid est au XVIIIe siècle un combat encore quotidien et non abouti.






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