Les Chroniques de Jérémy Daflon

Entre un tiers et la moitié de la population européenne décimée. La peste noire, plus particulièrement celle qui sévit entre 1347 et 1352 pendant le Moyen Âge, est bien connue dans notre mémoire historique comme la pandémie la plus mortelle de notre histoire continentale. Les conséquences de la maladie sont bien connues : croyance en la fin du monde, en la punition divine, développement de mouvements de flagellation, fosses communes, effondrement démographique des villes et des campagnes, accusations contre les Juifs, etc. Dans son roman Avant la fin du monde, Laurent Decaux a l’originalité de ne pas s’intéresser au pendant ou à l’après peste noire – mais plutôt à l’avant. L’écrivain écrit l’histoire d’un navigateur quelque peu forcé de voguer tout droit vers Caffa depuis Gênes, tout droit vers la maladie…

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D’un chantier naval à Gênes à une mission suicide à Caffa

Gênes au XIIIe siècle est une puissance commerciale et maritime, concurrente de Venise. La famille de Mussi est elle aussi célèbre. Daniele de Mussi est l’ancien capitaine du navire Cicéron. Cependant, après une catastrophe dont il se sent responsable et qui a causé la mort de son équipage, Daniele de Mussi a raccroché les rames pour en construire… Devenu chef d’un chantier naval, il élève une fille débrouillarde et son fils, Vittorio, qui préfère les manuels, la lecture et l’écriture plutôt que le travail manuel. Cette famille qui vivait des chantiers navals voit sa vie bouleversée à cause du siège à Caffa par le peuple mongol et de la dangerosité des mers. Obligée de se reconvertir, la famille cherche des solutions. La défense des chrétiens, le combat contre les musulmans débouchent sur une expédition maritime censée délivrer la colonie génoise de Caffa. Daniele de Mussi est appelé en tant que capitaine et les circonstances amènent son fils Vittorio à devenir un membre de son équipage. C’est ainsi que les deux hommes de la famille s’en vont droit vers une ville dont on dit être victime de la peste.

Un livre documenté, passionnant et bien écrit

Dans son livre Avant la fin du monde, Laurent Decaux nous livre un roman historique passionnant. Laurent Decaux s’appuie sur une source controversée nous expliquant que le peuple mongol a envoyé par catapulte sur la ville de Caffa des hommes (vivants ou morts) malades, empoisonnant et contaminant par la peste les habitats de Caffa. Nous ne retrouvons cette histoire que dans une seule et unique source, les historiens sont sceptiques. Dans un numéro du magazine L’Histoire paru en 2023 dont le dossier était consacré à la peste, Patrick Boucheron expliquait que la maladie n’était pas « fille de la guerre » mais « fille du commerce ». En effet, la maladie causée par un bacille présent dans les puces de rats, elles-mêmes présentes sur les rats et d’autres animaux comme marmottes, a circulé grâce aux échanges commerciaux dans toute la Méditerranée. Au XIIIe siècle au Moyen Âge, la Méditerranée est un espace d’échanges et de commerces entre les territoires. Les échanges commerciaux se produisent par voie maritime, et donc par bateaux sur lesquels montent les rats (porteurs de la maladie). Ainsi a circulé la peste sans que les contemporains ne le sachent.

Malgré cette source controversée dont Laurent Decaux en fait l’origine de son récit, son roman Avant la fin du monde reste très bien documenté grâce à la lecture de nombreux historiens sur cette période médiévale (dont Michel Balard, spécialiste de la Méditerranée médiévale) et grâce à la relecture de son œuvre par des historiens. Ainsi, nous parcourons la ville portuaire et commerciale de Gênes, nous y découvrons le monde du chantier naval et des équipages maritimes, nous découvrons les relations qu’entretiennent Gênes et Venise à leur époque. Nous voyageons à travers les colonies de ces cités marchandes, plus ou moins tolérantes envers les autres puissances. Nous atteignons un empire byzantin en proie à diverses menaces extérieures et intérieures. Nous entendons les rumeurs circulés sur un mal affectant et décimant les populations, rumeurs qui semblent se préciser plus on se rapproche de l’Orient et de Caffa. Mais le chef de l’armada refuse d’entendre et d’écouter ses rumeurs… En somme, Avant la fin du monde est un roman captivant d’une expédition appelée à être une mission suicide et qui nous emmène découvrir le monde marin de la Méditerranée médiévale et de son époque. Un roman dense mais difficile à lâcher tellement il est passionnant et par son originalité dans le traitement de son sujet.

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Aller plus loin sur le sujet de la peste, de Gênes, de la Méditerranée

Pour aller plus loin sur le sujet de la peste, je vous recommande :
* Le numéro de L’Histoire consacré à ce sujet : « La peste, itinéraire d’une tueuse » daté de juillet-août 2023.
* Le livre de Michel Balard et de Christophe Picard, La Méditerranée au Moyen Âge, Hachette Éditions, 2014.
* Le jeu-vidéo A Plague Tale : Innocence qui vous emmène au Moyen Âge à cette époque de la peste, bien qu’il s’agisse de la fiction, vous pourrez vous fondre dans l’époque avec plaisir.
* Le livre de Fabien Lévy, Histoire de Gênes : le souffle du capitalisme mondial (XIVe-XVIe siècles), Passés Composés, 2025.