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Le magazine d’histoire Histoire & Civilisations a publié son 106e numéro pour ce mois de juin 2024. Au sommaire, un dossier principal pour les 80 ans du débarquement de Normandie par les Américains durant la Seconde Guerre Mondiale. Un article consacré au personnage mythique Achille, à l’histoire de l’île de Tortuga au large d’Haïti connue grâce à Pirates des Caraïbes, à la police secrète tsariste en Russie et à l’histoire du tarot à l’époque moderne.



Le débarquement en Normandie par les Américains

Le dossier thématique du 106e numéro du magazine Histoire & Civilisations s’intéresse au 6 juin 1944, à l’opération Overlord et à la campagne de Normandie puisque nous sommes près des 80 ans de l’événement. Le dossier débute par un entretien avec Christophe Prime, historien au mémorial de Caen qui s’intéresse à l’engagement des États-Unis, de son armée et de sa société civile, dans l’effort de guerre. D’une armée digne d’un 17e rang mondial à une hyperpuissance militaire aujourd’hui, le président américain Roosevelt a réussi à mobiliser le patriotisme de ses citoyens et le secteur privé vers un effort de guerre menant au réarmement de l’armée américaine, moyennant l’utilisation d’une propagande par la radio et les affiches, pour soutenir l’effort d’une guerre qui parait peut-être loin pour les civils Américains, sauf ceux qui ont un membre de la famille engagé. Les Japonais y ont contribué le 7 décembre 1941 par l’attaque contre la base navale américaine de Pearl Harbor, mobilisant les États-Unis à entrer en guerre contre le Japon, l’Allemagne et l’Italie. Les isolationnistes qui ne voulaient s’engager dans la guerre furent contraints de s’allier dans une « union sacrée » aux démocrates interventionnistes qui souhaitaient s’engager dans la guerre en Europe.

L’engagement des civils américains dans la guerre

Les Américains se sont donc engagés sur deux fronts, plus intensément en Europe que dans le Pacifique. La société civile s’est mobilisée dans un engagement volontaire ou contraint, tant dans l’armée que dans le secteur industriel : des dizaines de milliers d’avion et de chars devaient être prêts pour les militaires américains, britanniques et russes. L’armée américaine ne cherchait pas tant à produire des technologies de pointe, elle cherchait avant tout à produire massivement des équipements, en les améliorant toujours, sans les modifier drastiquement au point de devoir réapprendre les militaires à utiliser l’arme et à les reformer. On disait que 5 chars américains « Sherman » valaient un seul char « Tigre » allemand. Les Allemands étaient plus au point technologiquement, à l’exception du M1 Garand ou de la technologie de radar où les Américains avaient la supériorité. L’article évoque aussi l’engagement des Amérindiens dont la langue était utilisée pour les codes secrets, et des Afro-américains dont l’engagement était plus difficile du fait du racisme systémique et ségrégationniste. Enfin Christophe Prime revient sur l’après-guerre en refoulant l’idée des Américains qui auraient voulu administrer la France. Il revient sur la perception de la good war : une guerre juste menée pour la défense de liberté, de la démocratie. Cette image doit être nuancée, les militaires américains avaient le désir de rentrer chez soi au plus vite, et la Seconde Guerre Mondiale bénéficie d’une plus belle image que les guerres plus tardives comme celles du Vietnam et de l’Irak qui furent des échecs.



L’opération Overlord heure par heure

Un deuxième article du dossier revient heure par heure sur les événements du 6 juin 1944 : l’opération Overlord, plus connue sous le nom de « Débarquement de Normandie ». Vincent Bernard, historien et spécialiste des questions militaires, fait un compte-rendu du débarquement. Les Américains débarquent à Utah Beach et Omaha Beach, cette dernière plage étant la plus dure pour les soldats et où les Alliés y perdirent le plus de militaires. Les Britanniques, Français et Canadiens débarquèrent à Gold Beach, Juno Beach et Sword Beach. Avant le débarquement des troupes sur les plages au petit matin, des parachutistes éclaireurs se sont posés avec difficulté dans l’arrière-région pour baliser en amont le terrain. Ces éclaireurs se sont emparés de Bayeux le 6 juin, prise d’assaut rapidement et sans dommage. Les plages sont sous contrôle vers 12h et l’après-midi consiste à s’avancer dans les terres. Cherbourg est prise le 26 juin pour établir un port en eau-profonde, Saint-Lô le 18 juillet pour s’avancer dans les terres. 10 000 victimes dont 4400 tués, la moitié d’Américains, comme bilan du 6 juin 1944, plusieurs milliers d’Allemands. On dénombre 3000 morts et blessés civils les 6 et 7 juin. Cette bataille de Normandie dure six mois, plus de temps que les projets optimistes, Caen ne sera prise que le 19 juillet.

Les bombardements américains sur les civils français normands

Un troisième article écrit par Jean-Charles Foucrier, historien, chargé de recherche et d’enseignement au service historique de la défense à Vincennes revient sur l’histoire des bombardements alliés qui ont détruit et tué bâtiments, maisons et civils français pour le bien l’opération Overlord. J.-C. Foucrier revient sur l’idée que ces victimes civiles ne furent reconnues que très tardivement : ce n’est seulement que le 6 juin 2014 que le président Hollande nuance l’action des Alliés sur les civils normands. En effet, des débats opérationnels ont eu lieu pour savoir s’il fallait bombarder ou non les villes normandes au risque de tuer des civils. L’objectif était de bloquer les routes et de rendre les terrains impraticables pour éviter que les Allemands ne sortent leur armée des villes pour rejoindre la côte soutenir leurs positions contre les Alliés qui débarquaient sur les plages. Si les bombardement britanniques et américains tuèrent 3000 civils, ils n’eurent pas l’effet escompté. Mais il faut recontextualiser : pour les généraux, il fallait maximiser les chances de réussite de l’opération. Les trois mois de la bataille de Normandie firent 20 000 civils tués, 300 000 sinistrés. Le dossier se conclut avec un dernier article de Claire L’Hoër qui revient sur les vestiges du débarquement tout au long des plage de Normandie ainsi que les musées qui ont fleuri le long de la côte. Le mémorial de Caen est justement destiné à rappeler les souffrances de la ville lors de la Libération.

Se décentraliser du contexte normand

Enfin, il faut recontextualiser ce débarquement. S’il eût une importance considérable pour la libération de la France et l’avancée des Alliés sur le front occidental, la guerre se joue aussi ailleurs. La guerre a eu lieu dans le Pacifique, où les États-Unis remportent la bataille de Midway qui arrête l’avancée japonaise dans le Pacifique du 4 au 7 juin 1942, deux ans avant le débarquement. Les Britanniques et les Américains débarquent en Afrique du Nord lors de l’opération Torch le 8 novembre 1942. Enfin, l’opération Overlord s’est effectuée en parallèle de l’opération Bagration : une offensive russe sur le front de l’Est afin de prendre l’Allemagne nazie en tenaille puisque les Américains et leurs alliés débarquaient à l’ouest en Normandie. L’Allemagne perd la guerre le 8 mai 1945, le Japon capitule le 2 septembre 1945, près d’un mois après la bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août 1945.



Achille, le héros mycénien en exposition

Un article est dédié à Achille coécrit par Caroline Alexander, Aurélie Damet et Nicolas de Larquier, à l’occasion d’une exposition sur le personnage au musée de la romanité à Nîmes. L’article revient sur la légende d’Achille, sur son ascendance divine, sur ses armes. On y regrette peut-être un article qui tarde sur la légende sans approfondir en quoi ce récit nous en apprend davantage sur les Mycéniens. On notera tout de même d’incroyables vestiges archéologiques, dont le bouclier d’Achille sculpté et dessiné par John Flaxman au XIXe siècle en double page.

Tortuga, l’histoire de l’île dans Pirates des Caraïbes

Tortuga, l’île de Pirates des Caraïbes, au large d’Haïti est devenue un repaire des boucaniers et des flibustiers. L’auteur Xabier Armendariz revient sur ces drôles de personnage : le boucanier était un peu le chasseur de viande jusqu’au moment où ils ont commencé à s’attaquer aux navires étrangers, ils en sont devenus ainsi des flibustiers. L’île est surtout devenue un repaire français au XVIIe siècle, mais assez peu contrôlée : boucaniers et flibustiers ont tenté de mettre en place une république libertaire et égalitaire avant que l’individualisme n’y reprenne l’avantage.



Okhrana, police secrète des tsars en Russie avant le KGB

Un article d’Alfonso Lopez revient sur l’Okhrana, la police secrète des tsars en Russie. Elle est effectivement née à la fin du XIXe siècle d’une réorganisation des corps de police après l’assassinat du tsar Alexandre II le 13 mars 1881 par l’organisation Narodnaïa Volia (Volonté du Peuple) qui prône la violence terroriste comme un moyen de combattre l’autocratie tsariste. L’Okhrana fonctionnait grâce un directeur, des officiers et bureaucrates qui faisaient de l’analyse du renseignement, du fichage, des interrogatoires, du recrutement. Il y avait aussi des agents externes qui étaient gardes du corps ou faisaient des missions de surveillance. Enfin, il y avait les plus nombreux, les yeux : les infiltrés qui sont surtout recrutés chez les ouvriers eux-mêmes ou les délinquants. L’auteur nous cite par exemple Sergueï Zoubatov, révolutionnaire qui est soudoyé à 22 ans par un chef local de l’Okhrana et devient informateur. Ses renseignements lui font gravir les échelons au point de devenir directeur. Les partis révolutionnaires ouvriers étaient les plus surveillés, dont celui de Lénine où Roman Malinovski, ouvrier métallurgiste avec un casier judiciaire, devient le porte-parole du groupe bolchevik à la Douma (parlement impérial). Après la victoire de la révolution en 1918, le nouveau gouvernement supprime l’Okhrana mais une nouvelle police secrète plus violence vient de naître : la Tcheka, qui deviendra par la suite le NKVD, puis le KGB.



Le jeu de tarot : un jeu aristocratique, intellectuel, éducatif

Pedro Ortega Ventureira signe un article sur le tarot et le mystère de ses origines. D’abord, il revient sur l’origine des jeux de carte, sans doute provenant de l’Orient (Inde ou Chine) mais dont les premières traces furent trouvées au Proche-Orient, puis les jeux sont arrivés en Europe à partir du XIVe siècle. Ces cartes, principalement numérales regroupées en quatre couleurs (denier, coupe, bâton, épée), et quatre figures (valet, cavalier, dame, roi) permettent de jouer à des jeux de hasard. Vite populaires, ces jeux sont interdits par l’Eglise et brûlés dans des bûchers, les cartes sont considérées comme une invention du diable. Le tarot n’est pas de la cartomancie à l’origine : cette pratique de la voyance ne remonte qu’au XVIIIe siècle. Le tarot est né lors de la Renaissance, probablement en Italie où nous disposons de jeux différents. Le tarot Visconti-Sforza commandé par le duc de Milan au milieu du XVe siècle avec trois jeux de carte incomplets, peints à la main dans des matériaux précieux. Il y a le tarot de Mantegna dans la région vénitienne vers 1465-1470 qui est très différent où le jeu compte des cartes de la condition humaine et des vertus du christianisme : le but est d’arriver à la plus haute condition humaine, au sommet de l’échelon, occupé par le Pape. Enfin, le tarot Sola-Busca dans lequel figurent sur les cares des personnages et leur nom (Alexandre le Gand, Caton, la déesse Pallas Athéna), peut-être est-ce là un jeu didactique pour se familiariser avec les personnages de la Bible, la mythologie, l’histoire, la littérature. Pourquoi le tarot n’a-t-il pas été condamné par l’Église ? A la différence des jeux populaires, le tarot inclut des cartes « atouts », et dedans figurent des vertus chrétiennes. Quoi qu’il en soit, le tarot des origines est un jeu aristocratique, intellectuel et éducatif.

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