Lecture très sympathique d’une biographie sur un personnage que j’aime beaucoup : Cicéron. Homme de la République romaine du Ier siècle avant J.-C., sa lecture nous donne un angle d’esprit analytique de la République romaine qui entre dans une ère où les principes républicains sont de moins en moins respectées et où les troubles sont de plus en plus nombreux.

Contexte – La République romaine au Ier siècle av. J.-C
La grande république romaine victorieuse s’installe durablement en Orient puis en Gaule. La cité-État est devenu un empire dans lequel d’importants troubles politiques s’activent. En effet, le régime politique des magistratures déraille. Le pouvoir partagé par les magistrats devient un pouvoir de plus en plus unique. Les imperatores, ces grands généraux aux puissantes armées et richesses qui accumulent des magistratures, se disputent le pouvoir, ce fut ainsi le cas entre les généraux Marius et Sylla qui marchèrent tous deux sur Rome. Marius représentait le parti des populares (la plèbe) et Sylla le parti des optimates (les nobles), symbole de dissensions internes. Dans d’autres circonstances, les imperatores se partagent le pouvoir. Pompée victorieux en Orient le partage avec César ou encore Crassus, général victorieux face au gladiateur Spartacus qui menait la guerre servile lors d’un premier triumvirat en -60. Ainsi, les principes républicains laissent place à un pouvoir de plus en plus personnel, allant jusqu’au paroxysme du monopole avec Auguste, établissant une monarchie qui ne dit pas son nom.
Lecture conseillée et source :
_ Charles Guérin, Cicéron, éd. Calype, 112 pages, 2022.
Aucune analyse ne m’appartient dans ce billet, il n’est qu’une synthèse des idées de l’auteur.
Cicéron, l’homo novus
Dans un premier chapitre, Charles Guérin examine la situation sociale de Cicéron. Fils de notables né à Arpinum, Cicéron doit constamment « trouver sa place » dans une Rome dirigée et aux mains de lignées pluriséculaires. Son père le place à Rome pour son éducation où il ne lésine sur aucune matière bien qu’il se profile sur la rhétorique (qui permet l’éloquence) et la philosophie sceptique (vidéo). Cicéron par son éducation et son travail personnel devient par la suite un homo novus.
Un homo novus (homme nouveau) est une expression latine qui se multiplie dans la décennie -80 de la République romaine (mais qui existerait déjà auparavant). Elle désigne un homme qui est le premier de la famille à avoir atteint un haut niveau du cursus honorum (consulat, sénateur). De manière plus précise, l’expression désigne une ascension sociale où le point d’aboutissement est un grand fossé vis-à-vis du point du commencement. Un homme inconnu qui parvint à se faire connaître.
=> en savoir plus en lisant l’article : https://books.openedition.org/pur/90085?lang=fr
Le scepticisme : un courant de philosophie qui anime Cicéron
Cicéron, l’avocat
Dans un deuxième chapitre, Charles Guérin étudie les débuts de carrière de l’avocat Cicéron. Alliant éloquence et philosophie, il défend un homme d’affaires spoliée et un fils accusé injustement de parricide par des gens proches de la famille de Sylla. Ses procès sont ensuite écrits et publiés, ce qui lui crée une certaine réputation. Ses textes déroulent un fil politique : Cicéron qui a vécu la Rome sous la guerre civile entre les partisans de Marius et de Sylla dans les années -80 affirme qu’il faut pacifier la société. Pour Cicéron, la société a vécu trop longtemps sous la guerre civile et l’a rendu violente. La société se sert des juges et de la justice pour condamner leur ennemi, à l’image de l’accusé de parricide auquel ses accusateurs lui voulaient ses biens. Par conséquent, cette justice instrumentalisée devient elle-même agressive. Or, selon Cicéron, l’homme se distingue de l’animal par sa rationalité et son sens de la justice. Alors que sa carrière commence a explosé, Cicéron s’en va pour la Grèce, à l’instar de la nobilitas romaine. Il y apprend à manier son verbe et un ensemble de philosophies.
La nobilitas désigne l’aristocratie de Rome. Ce sont des familles dont les ancêtres occupent depuis des temps lointains de grandes charges de magistrats;
Cicéron, défenseur de la res publica
Dans un troisième chapitre, Charles Guérin aborde le combat judiciaire et politique qui a fait de Cicéron le défenseur de la Res publica (la République) : le procès contre Verrès en -70. Quelques années auparavant, en -76, Cicéron est devenu questeur (charge de magistrature aux affaires juridiques et financières) en Sicile. Il s’est constitué une clientèle importante qui est venue le voir pour dénoncer les abus du gouverneur de Sicile Verrès comme la spoliation de biens et le détournement d’impôts. Malgré la corruption de l’ancien gouverneur envers les Siciliens, la justice ou encore les procédures faisant traîner le procès, Cicéron arrive à faire témoigner en -70 de nombreux témoins siciliens. L’ancien gouverneur fuit, Cicéron a gagné. Dans ses textes, Cicéron met le peuple dans sa poche grâce à sa victoire contre la corruption sans froisser les sénateurs dont il fait l’éloge de l’institution purifiée de ce qui la rend néfaste : la corruption. L’édile est devenu préteur en -66. Bientôt, il soutient un général qui souhaite les pleins pouvoirs pour combattre Mithridate, le roi du Pont en Orient, Pompée, général victorieux de nombreux pirates dans la péninsule italienne.
Cicéron, la voix de la concordia
Dans son quatrième chapitre, Charles Guérin s’intéresse à la voie de la concordia proposée par Cicéron et à la conjuration de Catilina. Dans les années -60, des tensions divisent Rome entre les sénateurs, représentants des optimates et des figures représentant le peuple, les populares, que sont César et Crassus. Inquiet d’une nouvelle guerre civile et d’une tyrannie, Cicéron propose une voie politique de la concorde : ses choix politiques seront toujours tournés pour concilier optimates et populares. En -64, Cicéron est élu consul, la plus haute magistrature romaine, exceptionnel pour un homo novus. Face à lui, Catilina, représentant des populares et soutenu par César et Crassus, rêve de devenir consul. Sa défaite le fait préparer une conjuration pour prendre le pouvoir de force. Cicéron passera des mois à tenter de prouver ce complot face à un Sénat qui préfère croire celui issu d’une longue lignée romaine plutôt que l’homo novus jusqu’à la fin de l’année où les preuves s’accumulent sur des projets d’incendie et des levées de troupes. Catilina et ses partisans, qui l’ont suivi en contrepartie d’une abolition des dettes, sont arrêtés et tués après instauration ou dans des combats militaires. Toutes ses actions ont fait de lui de manière officielle le « père de la patrie » et un homme loyal envers la République.
Les optimates sont une faction qui défend politiquement les intérêts de la noblesse romaine. Sylla était un défenseur des optimates. Les populares sont une faction qui défend politiquement les intérêts de la plèbe romaine. Marius ou César étaient défenseurs des populares.
Cicéron, l’exil
Dans son cinquième chapitre, Charles Guérin évoque les difficultés de Cicéron à s’imposer dans la République romaine. En -60, Pompée, César et Crassus (le triumvirat) forment un accord privé pour se partager le pouvoir. Cicéron qui tient à une République au Sénat fort et au pouvoir largement partagé s’inquiète. Clodius Pulcher qui a failli être condamné à cause du témoignage de Cicéron devient un ennemi armé dangereux. Le Sénat se renouvelle et les anciens alliés de Cicéron sont de moins en moins nombreux. César fait voter la loi condamnant ceux qui ont condamné à mort des citoyens sans jugement. Cicéron est en danger, quasiment sans soutien et on lui conseille de s’exiler, ce qu’il fait, direction la Thessalonie en Macédoine. Un exil difficile pour lui. Il sera rappelé en -57 par le Sénat mais globalement n’a plus assez d’influence pour s’opposer au triumvirat et pas assez confiance envers un Sénat qui l’a fait exiler.
Cicéron, l’écrivain
Dans son sixième chapitre, Charles Guérin s’intéresse aux écrits de Cicéron dans les années -50. Politiquement, les actions de Cicéron sont beaucoup plus éparses, l’orateur a beaucoup moins d’influence. C’est l’auteur qui prend le relais, il se concentre sur ses écrits. Il publie trois textes Sur l’orateur, Sur les lois, Sur la République. Ces trois textes présentent la vision de Cicéron sur le fonctionnement de la République romaine. Idéalement, le Sénat, les magistrats et le peuple sont le cœur du fonctionnement du régime politique. Les imperatores qui ont tendance à prendre le pouvoir personnellement ne sont pas du goût de Cicéron qui doit sans cesse naviguer entre eux. Ainsi, lorsque César et Pompée s’affrontent, les deux imperatores approchent Cicéron pour avoir son soutien. Si la relation entre Cicéron et César s’est améliorée, le premier a choisi le camp de Pompée qui sera défait. César finit par pardonner à Cicéron, mais le voilà dans une position toujours loin de la scène politique et de ses décisions.
Au Ier siècle av. J.C., les conquêtes permettent aux généraux d’accumuler de grandes richesses, un certain prestige et une popularité qu’ils n’hésitent pas à mettre en valeur lors de triomphes à Rome (un défilé militaire). Les imperatores sont ces généraux comme Marius, Sylla, Pompée, César ou Octave qui captivent les plus grandes magistratures avant tout grâce à leur gloire militaire.
Cicéron, après l’assassinat de César
Dans son septième chapitre, Charles Guérin décrit la situation et l’implication politique de Cicéron dans la République romaine après l’assassinat de César en -44. Cicéron est un spectateur du Sénat qui n’était pas au courant du complot. Les assassins de César sont des lecteurs de Cicéron et trouvaient dans le dictateur un tyran. Ils souhaitaient défendre les institutions et ont appelé Cicéron à l’aide. Si les premiers jours, Cicéron arrive à justifier le meurtre de César mais à faire valider tout de même l’ensemble de ses actions pour convaincre Antoine de ne pas semer la guerre civile, cela ne dura pas. Lors des funérailles de César, Antoine exergue le peuple, et notamment les fidèles des populares, à se venger des assassins de César. Cicéron dans un premier temps souhaitait une voie de la concorde, jusqu’à ce qu’il décide de faire passer la « nécessité » avant tout dans l’objectif de sauver les institutions de la République romaine. Trouvant un Sénat à son goût trop faible et timide, il redevient le grand orateur et lance des actions au mépris du droit. Dans ses Philippiques, il expliquera et affirmera qu’il faut tuer Antoine pour sauver la République.
Dans la République romaine, un dictateur n’a pas la même définition que de nos jours. Effectivement, un dictateur à Rome est nommé lorsque Rome est en crise. Dans ce cas, il reçoit des pouvoirs extraordinaires pour la durée d’une seule année. En temps normaux, les pouvoirs qu’exercent le dictateur est réparti entre deux consuls.
Cicéron, sa mort
Dans son huitième chapitre, Charles Guérin revient sur la mort de Cicéron. En novembre -43, le « triumvirat pour la restauration de la République » composé d’Antoine, d’Octavien (le neveu adopté de César qui a hérité de ses biens) et du général Lépide, soutien militaire, se constitue. Leur objectif est de se partager le pouvoir et l’Empire, de constituer une liste de proscrits comme au temps de Sylla, c’est-à-dire ces hommes qui doivent être emprisonnés ou tués. Cicéron est sur la liste. Il sera assassiné après avoir fui Rome puisque malgré une première victoire militaire du Sénat romain sur Antoine, Octavien qui devait être un soutien du Sénat devient le confrère d’Antoine. La tête de Cicéron est exposée ensuite sur le Forum. Comme l’auteur l’indique, symbolique d’une Rome des institutions romaines et de la conciliation vaincue par une Rome aux mains du pouvoir personnel à la recherche constante de la gloire, l’un des maux de la République romaine et de sa déliquescence selon Cicéron.
À la fin de la République romaine, Octave nommé ensuite Auguste accumule les magistratures. Or, cela est normalement interdit car les principes républicains veulent que les pouvoirs soient partagés. Cette accumulation des pouvoirs témoignent de la déliquescence des institutions républicaines et annoncent la mise en place d’une monarchie qui ne dit pas son nom par Auguste concentrant l’ensemble des pouvoirs.






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